Par Karine Sitarz / Photo : Claude Piscitelli
Directrice artistique du Théâtre Ouvert Luxembourg (TOL) depuis 25 ans, la comédienne et metteure en scène Véronique Fauconnet, maman d’un grand garçon de 18 ans, se raconte librement lors d’une rencontre sympathique au mythique café Interview. Celle qui a pour philosophie de vie carpe diem, évoque le passé, parle de ses débuts au théâtre et de ses rencontres. Elle partage aussi son goût pour les films politiques et confie sa destination de cœur, l’Afrique.
Où avez-vous grandi ? Qu’est-ce qui vous a amenée au Luxembourg ?
Je suis originaire de Villejuif, jolie banlieue parisienne, commune communiste dynamique dans les années 70, mais je suis arrivée au Luxembourg dès 10 ans, seule avec ma mère avant que ma sœur aînée ne nous y rejoigne. Petite, ma mère avait eu des liens avec ce pays, la Croix-Rouge y emmenant après la guerre des enfants fragiles pour qu’ils reprennent des forces. Elle avait gardé des liens forts avec sa famille d’accueil, c’est pourquoi nous nous y sommes installées et c’est ici qu’elle a rencontré son second mari.
Comment s’est passée votre adolescence ?
Au début, cela a été assez dur et j’étais un peu paumée. Après quelques mois à Walferdange, j’ai intégré le système luxembourgeois, l’école primaire d’Hollerich où nous habitions puis le lycée technique du Verlorenkost dans les classes francophones où se retrouvaient les étrangers qu’on ne voulait pas voir ailleurs. Ces années ont pourtant été joyeuses pour moi, petite rebelle, qui rêvais de monter sur les barricades pour changer le monde ! Il y avait dans ce lycée un vrai sens de l’entraide, ce que je n’ai pas retrouvé par la suite. J’ai passé mon bac à Thionville puis opté pour lettres et civilisations étrangères à Metz et, parallèlement j’ai appris le saxophone au Conservatoire de Luxembourg. J’étais passionnée par la scène.
Mais d’où vient votre passion pour le théâtre ?
Boostée par ma sœur, je suis allée à une « porte ouverte » de la classe d’art dramatique. J’ai trouvé cela magique, j’ai rencontré Marc Olinger et en septembre 1986, je commençais à suivre ses cours. Peu de temps après, il m’appelait pour jouer dans « Le Balcon » de Genet au Théâtre des Capucins. Le théâtre était entré dans ma vie, mais je devais aussi gagner ma vie ! J’ai travaillé pendant 7 ans comme acheteuse en matériel informatique dans une boîte américaine, Computerland, tout en poursuivant les cours, y ajoutant ceux de Claudine Pelletier et de Philippe Noesen et en faisant mes armes au théâtre !
Comment l’aventure du TOL a-t-elle démarré ? Et quid de votre travail dans les lycées ?
Par « Le roi des cons » de Wolinski avec Claude Frisoni dans une mise en scène de Marc Olinger qui m’a alors proposé de devenir membre du théâtre. Beaucoup plus tard, en 2000, il m’a sollicitée pour un travail pour les Capucins en direction des jeunes et des lycées. J’ai adoré travailler avec les ados, c’est si important de transmettre. J’étais alors une des premières intermittentes du spectacle. Lorsque quelques années plus tard, la ville a créé un poste, je l’ai obtenu et ai continué ce travail jusqu’au départ à la retraite de Marc Olinger et hélas l’arrêt du poste. Après un passage au CAPEL, j’ai repris en 2012 mon statut d’intermittente, c’était « casse-gueule », mais je faisais ce que j’aimais !
Entretemps, vous êtes devenue directrice artistique du TOL…
… Après en avoir été la secrétaire à l’époque où Claude Frisoni était directeur artistique. On travaillait en binôme, il m’a beaucoup appris et m’a poussée. Je lui en suis reconnaissante, sans lui, je n’aurais pas posé ma candidature en 1999. Les premières années ont été dures, j’étais jeune, on était dans un monde encore très masculin et j’arrivais après quelqu’un au charisme magnifique. Je me suis inscrite dans la continuité avant de peu à peu imprimer ma marque.
Actrice, comédienne et metteure en scène, votre cœur balance-t-il ?
Quand je fais de la mise en scène, je suis plus sereine, mais j’adore jouer, la relation avec le public est si belle. Jouer dans des films est très différent, c’est excitant, mais j’ai toujours l’impression d’être en apprentissage. J’ai eu de petits rôles, mais ai fait des rencontres exceptionnelles. Sur « J’enrage de son absence » de Sandrine Bonnaire, j’étais aussi répétitrice de William Hurt pour qui j’avais une grande admiration. Un grand moment !
Une autre belle rencontre à partager ?
Celle avec Simon Abkarian que j’ai croisé sur « Le Chemin du Bonheur », dernier film réalisé par Nicolas Steil (ndlr : producteur et président du TOL). C’est un homme extraordinaire. Son « Electre des bas-fonds » au Théâtre du Soleil a reçu trois Molières. On a beaucoup échangé quand j’ai mis en scène « Objet d’attention » de Martin Crimp au TNL.
Vous fêtez cette saison les 50 ans du TOL. Un vœu ? Des projets ?
Que le nouveau ministre de la Culture soit autant à l’écoute que Sam Tanson, parce que pour les intermittents il y a encore du chemin à faire. Cette saison, le TOL a dû réduire le nombre de ses représentations par spectacle de 14 à 10 ! Il y a aussi tout le travail pour les métiers de derrière la scène à poursuivre. Il faut aider les petites structures parce qu’elles fonctionnent avec si peu de permanents. C’est difficile pour nous, pour Lex Weyer et Marc Limpach aux Kasemattentheater, pour Myriam Muller au Centaure. Mon deuxième vœu est d’arriver à rénover notre théâtre pour avoir enfin une jolie salle ! Et côté artistique que le TOL continue à être un tremplin pour de jeunes artistes et que les échanges avec les scènes de la Grande Région se renforcent.
Questions à la volée
Un auteur : Jorge Semprún, rencontré au Théâtre des Capucins, pour son écriture très politique et Stefan Zweig, pour sa finesse, son analyse de l’humain.
Un film : « Le Dictateur » de Charlie Chaplin, un film sur la liberté, merveilleux, visionnaire, qu’il faut voir et revoir.
Un coup de cœur : Les activistes écologistes pacifistes qui font un remarquable boulot, ils travaillent pour les vieux et pour les jeunes.
Un coup de gueule : Le parti d’extrême droite qui revient au pouvoir un peu partout dans le monde.