Par Fabien Rodrigues
Alors que la journée internationale de lutte contre les cancers infantiles se tiendra le 15 février prochain, la Fondatioun Kriibskrank Kanner « célèbre » cette année son 35e anniversaire. Réaffirmer ses missions, lever des fonds sans relâche et accompagner toujours mieux les familles des malades, l’institution ne chôme pas et demande à nouveau plus de flexibilité pour le congé pour raison familiale…
Bien moins connu que son pendant chez l’adulte, le cancer chez l’enfant est un domaine qui requiert non seulement une attention particulière, mais aussi une meilleure compréhension de la maladie par le corps médical, la recherche et l’industrie pharmaceutique. Touchant en moyenne 1 enfant sur 300, ses spécificités en font un volet aussi divers que rare, mais qui plonge les familles des jeunes malades dans un maelström émotionnel et logistique auquel il est souvent bien difficile de faire face. C’est dans ce cadre que la Fondatioun Kriibskrank Kanner agit depuis maintenant 35 ans pour – entre autres – accompagner et aider les familles dans ces épreuves.
La sensibilisation, toujours
En ce début d’année anniversaire, outre réaffirmer avec toujours plus de conviction ses objectifs (l’ultime étant, de manière utopique, sa disparition en même temps que celle de la maladie) et mener des actions de sensibilisation variées au fil des saisons, la fondation monte une fois de plus au créneau pour demander plus de flexibilité dans un des dispositifs essentiels au bien-être des enfants atteints de cancer et de leur entourage : le congé pour raison familiale ou CRF. Ce dernier permet aux parents actifs (salariés, indépendants ou apprentis) des mineurs malades de prendre un congé exceptionnel allant jusqu’à 52 semaines chacun pour les accompagner dans leur traitement, hospitalisation…
Mais les critères de son attribution peuvent sembler désuets dans la société actuelle, comme l’explique Anne Goeres, directrice de la Fondatioun Kriibskrank Kanner depuis 17 ans : « La société a évolué et la notion de famille aussi. Le congé exceptionnel est un atout indéniable pour la guérison de l’enfant malade, mais que devient sa force cumulée lorsqu’on parle de familles monoparentales par exemple ? Des cas concrets démontrent la nécessité d’adapter la loi actuelle afin d’éviter d’une part l’isolation trop importante du jeune patient pendant sa lourde maladie et d’autre part le risque pour le parent de perdre son emploi et de se retrouver rapidement proche du seuil de pauvreté à cause de ses absences nécessaires pour accompagner son enfant très gravement malade ».
C’est pour cette raison qu’Anne Goeres avait déjà proposé aux ministères concernés en 2023 une liste d’améliorations en 10 points du dit congé. Parmi elles, on peut y trouver par exemple un assouplissement des modalités de cumul, l’extension de la limite d’âge du jeune patient, l’introduction d’une formule souple de travail, l’étendue d’utilisation du CRF fractionné ou encore l’élargissement des bénéficiaires éligibles, pour le moment limités à tout adulte ayant à sa charge un enfant âgé de moins de 18 ans. « Aujourd’hui, est-ce qu’un malade de 17 ou 18 ans ne veut être accompagné que par un de ses parents ? Je ne le pense pas ! Cela peut être une autre personne importante, de la famille ou du cercle affectif… » précise ainsi la directrice de la fondation. La recommandation : tout en maintenant un ordre de priorité, élargir l’éligibilité au CRF à tout adulte qui exerce l’autorité parentale à l’égard de l’enfant, tout adulte faisant partie du ménage, tout adulte ayant un lien familial du 2e ou 3e degré ou tout autre adulte issu du cercle relationnel proche de l’enfant. Les élections législatives étant passées par là depuis, c’est donc auprès du nouveau Gouvernement Frieden que cette demande doit être à nouveau introduite, notamment auprès des ministres de la Santé et de la Sécurité Sociale, Martine Deprez (CSV), et de la Famille, Max Hahn (DP).
La recherche, pour le présent et l’avenir
Les cancers de l’enfant, par leur rareté et leur extrême variété, sont encore à présent un domaine de recherche scientifique qui a besoin de fonds et de stimulation. Car déjà, la réalité dure et vraie et là : les traitements ne sont pas rentables, car trop niches, pour l’industrie pharmaceutique. Pas de « big money » à la clé, pas de ruissèlement sur la recherche. « Pourquoi pas plus d’argent n’est investi dans ces recherches ou dans ces essais cliniques en particulier ? Pourquoi ce cancer plutôt qu’un autre ? Comprendre les besoins en recherche est un enjeu primordial, aujourd’hui comme demain », nous confie Anne Goeres. La fondation Kriibskrank Kanner se donne donc également une mission importante de collecte de fonds dédiés exclusivement à la recherche, notamment via un événement phare : la course solidaire Lëtz Go Gold. Celle-ci se veut un événement festif, non compétitif (pas de chronomètre officiel, pas de classement, pas de barrières horaires), dont l’objectif est de mobiliser le grand public à aider la Fondatioun Kriibskrank Kanner à accomplir sa mission de soutien actif à la recherche contre le cancer de l’enfant et dont la 7e édition sera organisée le 28 septembre prochain.
Bien plus qu’un simple rassemblement sportif local, Lëtz Go Gold s’inscrit dans une démarche de performance, au sein d’un réseau collaboratif international. La performance, car le but est clair : lever le plus de fonds possible pour changer réellement les choses. Ainsi, pas de quartiers : il faut avoir levé individuellement 200 euros – ou l’équivalent multiplié par équipe – pour avoir le droit de prendre le départ ! Il faut donc donner de l’huile de coude et du réseau pour pouvoir créer de l’impact, et quelque part c’est tant mieux.
Ensuite, la fondation s’est rapprochée de ses homologues de Bruxelles, Paris et Madrid pour créer un ensemble de 4 courses, chacune étant organisée dans son pays, mais toutes transférant de manière directe et transparente les fonds recueillis dans un « pot » commun de manière à asseoir la démarche avec plus de poids financier. Ce qui permet ensuite – ou plutôt en amont – de lancer un appel à candidatures chaque année pour des projets de recherches, sélectionnés et hiérarchisés par un comité indépendant, puis financés en fonction de la somme récoltée. Tout va à la recherche : l’organisation même des courses se fait via un système de sponsoring local. Quelques chiffres : la première course Lëtz Go Gold a permis de rassembler 250,000 euros, la 6e en 2023 a atteint 620,000 euros. Les 3 premières années, ce sont 12 millions d’euros qui ont été levés en tout et investis entièrement dans des essais cliniques, c’est-à-dire le test d’un médicament approuvé directement sur le patient. En 2024, la récolte sera dédiée pour la première fois à un cancer spécifique, le plus létal chez l’enfant : la tumeur cérébrale. L’ambition est forte, tout comme pour le dispositif dans son intégralité qui vise à s’ouvrir à de nouveaux pays et/ou organisations partenaires grâce au sérieux et à l’efficacité reconnue de son processus de fonctionnement.
Accompagner, au quotidien
La dernière mission évidente, qui est en fait la première mission de la Fondatioun Kriibskrank Kanner, c’est l’accompagnement des malades et de leurs proches dans tous les volets qui ne relèvent pas du médical. Elle ne remplace ni les médecins ni les familles. Créée comme asbl par un groupe d’amis en 1989, alors que l’un d’entre eux fait face à un cancer et que la catastrophe de Tchernobyl est encore bien présente dans leurs esprits, l’institution est toujours restée fidèle à cet engagement initial pris pour les malades mineurs. Le traitement des cancers de l’enfant s’est longtemps fait – et continue de se faire à l’étranger, avec des séjours souvent prolongés sur place lors desquels le jeune malade ne peut évidemment pas être laissé seul, loin du Luxembourg. Ces déplacements dans les centres les mieux adaptés au traitement personnalisé du patient, en général renseigné par le Service National d’Oncologie et Hématologie Pédiatrique (SNOHP), mais aussi tout le reste des bouleversements du quotidien qui surviennent après le diagnostic sont là où la fondation va intervenir. Assistance sociale et psychologique, information, facilitation des démarches diverses sont autant d’outils que l’équipe de la Fondatioun Kriibskrank Kanner, composée d’une vingtaine de collaborateurs, va mettre à la disposition des familles lors de la complète réorganisation qui va s’imposer à elles. Entièrement financée par les dons privés, elle s’intéresse aussi à ce qui se passe à l’étranger, comme en Ukraine récemment. Pour ses 35 ans, à la manière des Restos du Cœur, Anne Goeres souhaite que sa structure puisse un jour devenir inutile, mais le chemin est encore long alors d’ici là, la fondation va ajouter une emphase supplémentaire à ses événements saisonniers et célébrer plus que jamais les « silent heroes » qui font face à la maladie « en continuant de travailler, de vivre et de sourire »…