Le 4 mars dernier, la France devenait le premier pays à inscrire le droit, ou plutôt la « liberté garantie », à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) dans sa Constitution. De tradition bien plus chrétienne que son voisin, le Grand-Duché a toutefois fait de grandes avancées sur le sujet depuis 2014, avec une volonté politique soutenue de très près par le planning familial. Gardien volontaire sans peur et sans reproche, ce dernier est aussi la seule source de données en matière d’avortement.

Par Fabien Rodrigues

Ne nous attardons pas sur le passé : si l’avortement était encore inscrit au Code pénal luxembourgeois il y a dix ans, aucune sanction n’était plus prise depuis bien longtemps. Mais la loi de décembre 2014 a finalement pu mettre symboliquement cette relique au placard une bonne fois pour toutes et remettre la question de l’interruption volontaire de grossesse au Grand-Duché sur le devant de la scène et dans l’espace public. Bien sûr, en France, la « loi Veil » avait joué ce rôle dès 1975, mais l’héritage bien plus laïque de nos voisins français permet de comprendre cela assez facilement. Cela dit, dans un contexte géopolitique où les idées conservatrices semblent avoir le vent en poupe, et pas qu’un peu, il est tout de même notable que la question progresse toujours vers plus de droits et de libertés pour les femmes.

La situation luxembourgeoise

Au Luxembourg, c’est également le cas, puisque la loi de 2014 a vu par la suite un changement d’agrément entre le Planning Familial et le ministère de la Santé. Cela permet aux femmes désireuses d’interrompre leur grossesse de le faire plus tard et d’effectuer la procédure également au sein des Planning Familiaux d’Ettelbruck et d’Esch-sur-Alzette, comme s’en réjouit Fatima Rougi, membre du conseil du Planning familial : « Le fait que les personnes désirant avoir recours à cette intervention délicate ne soient plus obligées de se rendre à Hollerich, dans notre centre de la capitale, pour ce faire est une avancée importante. Elle apporte la notion de proximité et plus de tranquillité aux femmes. Avec la loi de 2014 et le nouvel agrément de 2021, nous avons l’impression que l’IVG est bien encadrée et suivie au Luxembourg, même s’il reste évidemment et toujours des marges de progression ».

Le Planning Familial, une ASBL « garde-fou », créée en 1965 et subventionnée par les ministères de la Santé, de la Famille et de l’Éducation, a pour mission aussi permanente qu’importante : promouvoir, dans une perspective féministe, l’autonomie des individus dans leurs choix en matière de sexualité et de reproduction, en garantissant l’accès à l’information, à l’éducation, aux services de santé, et en luttant contre toutes les formes de discrimination et de violence. Un gardien de droits et de libertés considérés comme fondamentaux par beaucoup aujourd’hui, mais sous la menace permanente d’acteurs conservateurs.

Un peu d’information

Pour rappel, au Luxembourg, toute femme enceinte, résidente ou non, peut demander une interruption volontaire de grossesse (IVG) avant la fin de la 12e semaine de grossesse ou avant la 14e semaine d’aménorrhée. Au-delà de ce délai, l’IVG peut toujours être réalisée si deux médecins qualifiés attestent par écrit que la grossesse représente un danger pour la santé ou la vie de la femme enceinte ou de l’enfant à naître. Si la femme enceinte est mineure non émancipée, l’accord du ou des titulaires de l’autorité parentale, ou du représentant légal, est nécessaire. Elle peut néanmoins choisir de garder le secret, à condition d’être accompagnée tout au long de la procédure par une personne de confiance majeure.

Il existe deux méthodes qui dépendent du choix de la femme et du terme de la grossesse, toutes deux étant prises en charge à 100 % par la Caisse nationale de Santé :

L’IVG médicamenteuse, lors de laquelle la grossesse est interrompue au moyen de deux médicaments : le premier met un terme à la grossesse, le second provoque l’expulsion de l’œuf. Cette méthode ne nécessite pas d’anesthésie et peut être pratiquée jusqu’à la fin de la 12e semaine de grossesse ou la 14e semaine après le début des dernières règles par un médecin spécialiste en gynécologie et obstétrique, ou par un médecin non spécialiste autorisé à exercer au Grand-Duché de Luxembourg. C’est la méthode employée dans les centres du Planning Familial, mais uniquement jusqu’à 7 semaines de grossesse ou 9 semaines après le premier jour des dernières règles, comme le stipule le nouvel agrément datant de 2021. Au-delà, c’est l’hôpital qui prend le relais.

L’IVG chirurgicale, lors de laquelle la grossesse est interrompue par un acte chirurgical : l’œuf est aspiré pour mettre un terme à la grossesse. Cette méthode nécessite une anesthésie locale ou générale et peut être pratiquée jusqu’à la fin de la 12e semaine de grossesse ou la 14e semaine d’aménorrhée. Elle est exclusivement pratiquée dans un établissement hospitalier par un médecin spécialiste en gynécologie et obstétrique autorisé à exercer au Grand-Duché de Luxembourg.

Il est important de noter que la loi prévoit un délai de réflexion de 3 jours entre le premier rendez-vous gynécologique et l’IVG. Une liste des établissements autorisés à pratiquer l’intervention est consultable sur le site sante.public.lu.

Data et Constitution

Si le Planning Familial se dit satisfait de la situation actuelle concernant l’avortement et du dialogue quotidien entretenu avec les pouvoirs publics, il reste néanmoins vigilant, comme le souligne Fatima Rougi : « Des forces conservatrices aimeraient voir les avancées sociales en matière d’IVG reléguées aux oubliettes, tant à l’international qu’au Luxembourg. Nous avons remarqué des campagnes de désinformation sur les réseaux sociaux menées par des groupes anti-IVG locaux, souvent liés à des fondations religieuses. De plus, un médecin peut invoquer la clause de conscience pour refuser de réaliser l’intervention, ce qui complique parfois la recherche d’un praticien pour les femmes concernées. Nous avons également reçu des retours sur des tentatives de dissuasion et des avis partiaux, voire radicaux. »

Le Planning Familial s’engage à assurer une neutralité et une transparence totales lors des interventions réalisées dans ses centres, et poursuit ses efforts pour constamment améliorer ses services. Dans son plaidoyer adressé aux candidats lors des dernières élections législatives, puis au gouvernement élu, il a mis en avant deux axes de travail principaux. Le premier concerne la collecte de données statistiques : jusqu’à présent, aucune étude nationale n’a été menée sur la santé sexuelle, reproductive et affective. Les informations sur l’IVG, la contraception, l’âge du premier rapport sexuel, l’évolution des infections sexuellement transmissibles proviennent principalement du Planning Familial, omettant ainsi les données relatives aux IVG réalisées en hôpitaux et en consultations.

Cette absence de données précises rend difficile l’attribution et la répartition d’un budget et d’efforts ciblés sur ces enjeux de santé. « Nous disposons de peu d’informations sur les chiffres de la contraception et sur les méthodes préférées au Luxembourg, sans parler des vasectomies ou des ligatures des trompes… La collecte de données plus complètes est l’une de nos priorités », précise Fatima Rougi. La seconde revendication concerne l’inscription du droit à l’IVG – et non simplement de la « liberté garantie », une nuance sémantique utilisée par le parlement français – dans la Constitution du Grand-Duché de Luxembourg. « Bien que nous progressions dans la bonne direction, nous n’attendons pas pour agir car les droits sexuels et reproductifs ne sont jamais définitivement acquis, en particulier pour les femmes. Une vigilance constante est nécessaire, car inscrire ce droit dans la Constitution rendrait toute remise en question beaucoup plus difficile », continue Fatima Rougi, avant de critiquer la dénomination « pro life » souvent adoptée par les associations anti-avortement : « C’est une appellation que je trouve profondément contradictoire. Un fœtus n’est pas une vie – voilà sur quoi repose le droit à l’avortement. Nous nous considérons bien plus ‘pro-vie’ que ces associations conservatrices, qui semblent ignorer l’impact dévastateur qu’un enfant non désiré peut avoir sur les parents et l’enfant lui-même. Offrir un choix et la liberté de décider pour soi et son corps est véritablement pro-vie. »

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