Texte par CADFAEL
Pendant la pandémie, les affaires politiques continuent. Le Luxembourg gère de manière exemplaire la crise avec un œil sur la reprise de son économie et l’autre sur les « effets papillon » pouvant toucher le système bancaire et financier.
Boris Johnson, qui n’a pas eu droit aux thérapies proposées par le président des Etats-Unis en se faisant soigner par un infirmier portugais et une infirmière néo- zélandaise, se retrouve depuis ce lundi, de retour au 10 Downing Street après une absence d’un mois. La longue et tortueuse voie prise par le Royaume-Uni et communément connue sous le nom de Brexit, n’est donc pas terminée, loin s’en faut. Le mois de juin marque une date fatidique acceptée par les deux parties lors du protocole de sortie, permettant au Royaume-Uni de demander une prolongation de la période de transition. La session de négociations de la semaine dernière entre le Royaume Uni et Bruxelles aurait du être la cinquième selon les plannings initialement prévus, mais au lieu de cela, nous n’en étions qu’à la seconde. Elle a mobilisé une centaine de fonctionnaires des deux côtés, par vidéoconférence, pandémie oblige. Selon les presses anglaise et européenne, quasi unanimes, pour un résultat nul.
Une guerre de tranchées euro-anglaise
Du côté anglais, David Frost, conseiller du premier ministre anglais pour l’Europe, ancien fonctionnaire des affaires étrangères, ancien ambassadeur au Danemark est à la tête d’une équipe de 40 personnes. Frost a quitté les services diplomatiques de sa majesté de 2013 à 2016 pour occuper le poste de CEO de l’association écossaise des producteurs de Whisky. Le gros de ses troupes sont des durs issus des campagnes électorales pro Brexit, dont certains très proches du puissant « Institute for Economic Affairs », lobby ultra libéral en matière économique et ultra conservateur en matière politique.
Du coté européen, le « chef de la force opérationnelle », tel est son titre, est toujours Michel Barnier, vieux routier des combats politiques. En tant qu’ancien ministre français de l’agriculture et de la pêche (2007-2009), il aura appris à connaître les réflexes politiques d’Outre-Manche sur le dossier politiquement ultra sensible des droits de pêche. Cet ancien gaulliste, membre du RPR (Rassemblement pour la République) et vieux routier des maroquins ministériels parisiens, baigne depuis 2006 dans la politique bruxelloise où il avait une mission de conseiller spécial auprès de Barroso juste avant de reprendre un poste ministériel sous Fillon pour retourner ensuite dans le vivier européen. Contrairement à son adversaire anglais, il connait bien les arcanes de la Commission où, depuis juillet 2016, il est en charge du cauchemar géopolitique que constituent les négociations avec le Royaume Uni. Très bien connecté aux milieux d’Outre-Atlantique, il est également proche du très pro-chinois Raffarin, ancien premier ministre français (2002-2005) qui a vendu les installations du laboratoire P4 de Wuhan aux chinois.
Un agenda très serré
Du fait de la pandémie, un temps précieux de négociation a été gaspillé. Inattention ou stratégie de la part du clan des durs autour de Johnson, l’histoire nous le dira peut-être. A cette situation se rajoute un élément majeur : la pandémie a fondamentalement changé la donne. Avec une économie en berne et un non accès aux moyens de soutien financiers mis en place par les européens, il faudra toute l’ingéniosité de Downing street et de la City ainsi que de gros sacrifices aux citoyens anglais afin de surmonter cette très mauvaise passe au cas où Londres choisirait l’option du « hard Brexit ». Cette hypothèse n’est pas à exclure car à ce jour car aucun point d’accord n’a été trouvé avec les anglais.
D’après le Financial Times les dates clefs sont le mois de juin où un sommet entre le Royaume Uni et les 27 européens est prévu afin d’entériner les progrès faits lors des négociations. L’accord de sortie entre Boris Jonson et Bruxelles définit également le 1er juillet comme date butoir en ce qui concerne une réglementation sur l’accès des bateaux de pêche européens aux zones de pêche sous souveraineté anglaise, dossier électoralement explosif pour Londres. La même date est annoncée en ce qui concerne une réglementation sur un accès réciproque aux services financiers et bancaires, point de négociation fondamental pour la City de Londres dont on connait le poids économique et politique pour les conservateurs de M. Johnson.
Je te tiens, tu me tiens par la barbichette
L’accès au marché intérieur est un point majeur pour lequel une solution doit être trouvée avant la date butoir du 26 novembre afin que ce point puisse également être entériné par un vote au Parlement européen et que tout cela puisse entrer en vigueur avant la fin de l’année. La Grande Bretagne aimerait y accéder librement mais devrait en contrepartie respecter les lois sociales européennes, demeurer signataire de la Convention Européenne des Droits de l’Homme et ne pas pratiquer de dumping social. Frost refuse de se soumettre à toute législation européenne ou de reconnaître la compétence d’une quelconque cour de Justice de européenne. Son but est un accord bilatéral de libre échange (CETA) comme celui que l’UE a conclu avec le Canada en 2016. Frost oublie que les négociations ont duré 9 ans.
Si aucun accord n’est trouvé, les relations entre Royaume-Uni et l’Union Européenne tomberont sous le droit commun défini par l’OCDE. Et ce n’est pas tout : après 2020, les négociations continueront sur les transports ferroviaires et aériens ainsi que sur l’industrie des services non financiers. Il demeure une question fondamentale, celle de la sécurité et de la coopération militaire où il existe de nombreuses interfaces avec l’OTAN. Vu le côté tortueux pris par les négociations et la pression énorme pour une sortie en bon ordre, la presse anglaise commence à faire état de fissures dans la belle unité du clan Johnson.
Des menaces pour notre place financière ?
A partir du mois de juin l’Allemagne aura la présidence du conseil européen. Des milieux proches de Mme Merkel ont fait savoir qu’une extension des délais sera urgente et nécessaire. Et le Luxembourg dans tout cela ? Le secteur financier installé au Grand-Duché est vital pour notre économie. Si aucun accord n’est trouvé parions que la City ultra-libérale saura se défendre et elle dispose d’une puissance de feu importante. Avec notre place financière très règlementée, il faudra faire des concessions à cette belle vision politique d’un monde où fiscalité et justice vont main dans la main et considérer les options de la Real Politik en face. Un sacré défi pour Xavier Bettel qui se surajoute à celui du risque sanitaire.