Allier économie circulaire, via l’upcycling, et insertion sociale et professionnelle, c’est le projet ambitieux pensé et concrétisé par Hawa Sangaré en pleine crise sanitaire. Vingt années d’expertise dans l’insertion et la formation professionnelle lui ont permis de déceler certaines failles, et d’y remédier, articulant son projet autour de la formation professionnelle, autant que l’estime de soi et l’autonomie. Sept mois après le lancement de l’association, et de la boutique en ligne #2ndeVie, Hawa Sangaré revient sur la genèse de cette initiative résolument tournée vers l’avenir, et fait un premier bilan.
Qu’est-ce qui vous a amenée à créer une structure d’insertion ?
J’ai une formation de psychologue clinicienne, et malgré mon appétence pour l’accompagnement, c’est par le plus grand des hasards que j’ai découvert l’insertion à la sortie de mes études. J’ai débuté à l’ANPE, mais j’ai rapidement voulu en savoir plus sur l’insertion et l’accompagnement. J’ai donc travaillé avec des jeunes dans l’insertion locale, des allocataires du RSA, mais aussi en centres de détention, essentiellement dans le domaine associatif, puis finalement en entreprise d’insertion, car j’ai compris l’importance d’allier économie et social. Ce type de structures permet d’être davantage dans l’accompagnement que dans l’assistanat, et offre la possibilité aux personnes concernées d’avoir un projet professionnel tout en gagnant en indépendance. Ces vingt années d’expérience sur le terrain m’ont permis de comprendre énormément de choses sur l’insertion, et notamment la nécessité de redonner autonomie et estime de soi à celles et ceux qui ont souffert d’isolement social et d’exclusion de l’emploi.
Comment est née H.A.W.A au féminin ?
En entreprise d’insertion, je me suis rendu compte que les bénéficiaires ne parvenaient pas à se maintenir en poste une fois le parcours terminé. Ils ne parvenaient pas à être complètement autonomes dès lors qu’ils n’étaient plus accompagnés, et c’est justement parce qu’on ne misait pas sur l’estime de soi et l’autonomie. J’ai donc décidé de compléter ma formation, puis ai créé ma première structure, H Strategy, en 2014. Cela m’a permis d’apporter mon expertise aux entreprises d’insertion, et de développer des ateliers d’estime de soi, de prise de parole en public, de conseil en image, et de préparation aux entretiens d’embauche. Et cela a fait toute la différence. Non seulement les personnes accédaient plus rapidement à l’emploi, mais surtout elles s’y maintenaient.
En parallèle, je me suis aperçu qu’en deux décennies le nombre de femmes en situation de vulnérabilité avait explosé. Et quel que soit le profil de ces femmes, on leur propose toujours des postes exposés à la pénibilité, avec des horaires atypiques, sans même écouter leurs envies, leurs aspirations, et les contraintes qu’induit le quotidien de mamans solo. Tout ça a mûri dans ma tête, et j’ai décidé de me lancer, et de créer un dispositif destiné à insérer ces femmes durablement, restaurer leur dignité, sans me projeter à leur place, et leur offrir un lieu où elles pourraient se réapproprier tous les outils nécessaires à leur autonomie.
Et la mode, un univers a priori très éloigné de l’insertion, est venue s’insérer dans votre projet. Pourquoi ce choix ?
Je cherchais un support d’activité pour mettre en place ce dispositif, et je suis tombée sur la loi anti-gaspillage vestimentaire. Cela a sonné comme une évidence. J’adore la mode car j’ai toujours eu conscience du pouvoir du vêtement, sur l’estime de soi justement. Pouvoir miser sur la mode durable, et donc l’économie circulaire, pour rendre leur autonomie à ces femmes était à mes yeux idéal, tout simplement parce que c’est l’avenir, et cela signifie forcément beaucoup. H.A.W.A au féminin met le glamour de la mode, et parfois même du luxe, au service de l’insertion pour favoriser l’émancipation et l’autonomie des femmes. J’ai créé ce projet en plein confinement, puis la structure a ouvert courant 2021, et les premières salariées ont été recrutées en octobre dernier.
Concrètement, comme ça se traduit au quotidien ?
Il faut différencier les deux pans de ce projet : il y a H.A.W.A au féminin qui est l’association, le chantier d’insertion, et #2ndeVie qui est la boutique en ligne qui offre une nouvelle vie aux vêtements comme aux salariées qui les transforment. Au quotidien, nous récupérons des invendus neufs que nous revendons à prix négociés, mais aussi des chutes de tissus que l’on revalorise via l’upcycling. Cette seconde partie consacrée à l’upcycling se développe très rapidement car on répond à des besoins de marques en sublimant leurs stocks dormants, voire des pièces qui présentent des défauts.
Les chutes de tissus et vêtements récupérés peuvent être transformées en trousses, en housses d’ordinateur, en tote bags, en masques, et même en de nouveaux vêtements. Au départ, les marques ne nous connaissaient pas, mais elles se sont rapidement engagées que ce soit pour l’insertion des femmes ou en faveur d’une démarche éco-responsable. Il y a une réelle volonté de leur part de soutenir l’association, au point que des collaborations ponctuelles se sont transformées en partenariats sur long terme, ou que des marques nous donnent aujourd’hui leurs invendus pour créer des cadeaux pour leurs salariés.
Quel est le bilan, sept mois après avoir recruté les premières salariées ?
En quelques mois seulement, nous sommes passés de 10 à 25 salariées. C’est une grande fierté ! Nous avons changé beaucoup de choses, notamment en termes de matériel, puisque nous avons débuté avec des machines à coudre familiales pour nous tourner progressivement vers des machines industrielles, et nous allons désormais avoir un second local entièrement dédié à la confection. Aujourd’hui, les stylistes sont de plus en plus nombreux à venir nous voir directement car le bouche à oreille fonctionne bien. Je ne peux pas tout dévoiler pour des questions de confidentialité, mais nous avons de très belles collaborations à venir, et même un défilé qui devrait voir le jour.
Du côté des salariées, cela bouge forcément aussi. Certaines ont déjà pu passer de l’hôtel social à un vrai appartement, sachant que d’autres vont également en bénéficier dès septembre. Il y a aussi des propositions de postes en CDI, des évolutions, et de nombreuses responsabilités qui s’ajoutent aux compétences développées au cours des derniers mois. C’est génial. On progresse petit à petit, on est très contents. Et j’ai bon espoir pour l’avenir car le projet a du sens… C’est un travail d’équipe avec beaucoup de talent.