Benoîte Groult est décédée hier dans son sommeil à l’âge de 96 ans. Figure du féminisme, tant par son combat pour l’égalité des sexes que par ses prises de positions en faveur de l’avortement et du droit à disposer de son corps, l’écrivaine et journaliste laisse derrière elle une œuvre, un héritage, plus que jamais d’actualité, qu’il faut lire et relire.

Tardivement féministe

Quand paraît Le Deuxième Sexe en 1949, Benoîte Groult découvre Simone de Beauvoir. Elle a 30 ans et déjà lu Virginia Woolf. Si elle ne se revendiquait pas encore féministe, elle a pratiqué en revanche le ‘curetage’ sur elle-même, puis sur sa sœur. À une époque où les ‘faiseuses d’anges’ se multiplient dans la clandestinité, où l’interruption volontaire de grossesse se pratique avec un bout de caoutchouc et des aiguilles à tricoter, Benoîte Groult n’a guère d’autre solution. Comme elle l’expliquait à Clémentine Autain sur France Culture: “Au bout de trois avortements, j’ai compris comment ça se faisait. Et comme je suis une pêcheuse, en plus d’être une pécheresse, je me suis aperçue que les sages-femmes, enfin les faiseuses d’anges, utilisaient des sondes en caoutchouc. Je me suis dit: ‘La ligne à lieu, pour pêcher le lieu en mer, c’est la même chose, c’est une sonde en caoutchouc.” On avait tous les courages, y compris braver la mort.'”

Ces avortement, elle les pratique non pas par esprit ou volonté de militantisme, mais simplement parce que ‘c’était ça ou ne plus faire l’amour’. Ne plus choisir, ne plus être libre. Inconcevable pour celle qui était profondément, intrinsèquement attachée à sa liberté, la liberté de disposer de son corps, de se marier puis de divorcer sans devoir subir le jugement d’autrui. Une volonté aussi d’exister, en tant que femme, en tant qu’être humain. Le deuxième sexe, celui qu’on oublie, qu’on juge inférieur, Benoîte Groult n’a eu de cesse d’en défendre les causes et les droits.

Un combat multiple et des actions ciblées

Alors, elle comprend qu’elle doit agir. Se revendiquer féministe, même sur le tard, même à 30ans. Parce qu’’Il est à peine croyable que (…) la moitié masculine du genre humain se soit acharnée à prouver que l’autre ne valait rien et ne méritait pas d’accéder à la dignité d’être humain’ (Cette mâle assurance, 1994). Ces premiers livres écrits avec sa sœur marquent le début de sa lutte égalitaire en faveur des femmes. Les années 70 seront celles de l’émancipation et des droits.

En 1975, elle publie l’un de ses livres les plus connus: Ainsi soient-elles. Elle s’y revendique féministe et critique la société patriarcale dans laquelle les femmes évoluent. Elle créé ensuite la revue mensuelle F Magazine aux côtés de Claude Servan-Schreiber en 1978. Pour le premier numéro, elle met en couverture Claire Bretécher avec ce slogan ‘L’humour change de sexe’. Les choses sont dites.

Parce que son combat est multiple et que l’égalité doit être gagnée sur tous les terrains, notamment celui, symbolique, de la langue, elle préside de 1984 à 1986, la Commission de terminologie pour la féminisation des noms de métiers, de grades et de fonctions, fondée par Yvette Roudy alors ministre du Droit des Femmes. Une féminisation de la langue française encore pas acquise en 2016, Benoîte Groult aura eu le mérite de faire avancer le débat. Enfin, la même année, elle publie pour la première fois en France la Déclaration des Droits de la Femme et de la Citoyenne, écrite en 1791 par Olympe de Gouge. Symbole ultime de sa lutte.

Benoîte Groult était de ces femmes libres, insoumises à l’image de Simone de Beauvoir, qui n’aimaient rien mieux que de profiter de la vie sans avoir à se justifier. Intellectuelle et engagée, toujours pertinente et juste dans son combat, Benoîte Groult aura mené une vie emplie d’amour et de liberté, qui s’est achevée hier sous le soleil provençale de Hyères.

 

Helena Coupette