La puissance des géants du web et les dégâts faits par leur abus de position dominante, sensibilisent de plus en plus, la classe politique et un public soucieux de sa sphère privée.
Berlin et Bruxelles enquêtent
Lundi, l’office anti cartel allemand (Bundeskartellamt) annonçait qu’il initiait une enquête concernant Apple et les suspicions d’abus de position dominante. Doté d’outils légaux renforcés, Apple est le dernier en date des grands du numérique à s’être fait épingler en RFA après Google via sa société phare Alphabet, Facebook et Amazon. Mardi, l’office anti cartel de l’Union Européenne ouvrait également une procédure contre Google en matière d’abus de position dominante. La même filiale Alphabet en abuserait en matière de publicité sur le web. En parallèle Apple store et Apple pay sont visés par des enquêtes de Bruxelles et de l’anti-trust de Londres. On notera qu’en novembre 2020, la firme à la pomme avait accepté de payer près de 100 millions d’euros afin d’arrêter une enquête dans 34 états américains. Il lui était reproché d’avoir volontairement limité les performances des téléphones dont les batteries étaient plus anciennes. La firme a été sanctionnée début 2020 en France pour la même pratique, l’obsolescence programmée, pratique ce qu’elle a toujours niée et qui s’est soldé par une amende de 25 millions pour « pratiques commerciales trompeuses par omission ». Un mois plus tard elle acceptait de payer entre 310 millions de dollars, somme qui pouvait monter à 500 millions à des plaignants américains, au bout de deux ans de procédure pour le même fait.
Les cookies à la mode Google
Le rôle joué par les cookies, ces trackeurs que Google utilise et qui sont à la base de son business modèle, est particulièrement visé. Les cookies permettent de vous cibler pour toutes sortes de messages commerciaux qui apparaissent de manière intrusive en marge de vos mails, sur vos écrans. Dès que vous activez ne serait-ce qu’un bouton de votre PC ou téléphone, les cookies tracent tout afin d’établir des profils de consommation immédiate ou à venir. En 2019 la firme avait encaissé une amende de 1.7 milliards d’euros de la part de Bruxelles pour les mêmes faits. Selon Reuters du 22 juin, la dernière décennie aura coûté à la firme plus de 8 milliards d’euros de pénalités diverses imposées par Bruxelles. L’année dernière les activités en matière de publicité de Google ont généré 147 milliards de revenus. La firme contrôlerait ainsi 27% du marché mondial de la publicité en ligne.
Selon le site « protocol.com » du 21 juin, un autre cauchemar vient de prendre vie pour les grands du numérique : la nomination de Madame Lina Khan à la tête de la « Federal Trade Commssion » l’agence fédérale de protection des consommateurs qui a pour mission de faire respecter les lois anti-trust. Dans un article paru dans le « Harvard Law Revue » cette diplômée de Yale, professeur de droit à la Columbia University, agée de 32 ans, comparait les managers des Google et Cie à des vendeurs de voitures d’occasion. Elle disait que des sociétés qui font leurs bénéfices à partir des données privées de leurs clients, peuvent difficilement prétendre être les gardiens de leur sphères privées. Et avec tout cela il convient de ne pas oublier la procédure en démantèlement qui est en cours devant le Congrès américain.
Google et son management qui fissure
Plus grave pour Google, ses problèmes internes font les choux gras de la presse américaine. On est loin de l’image d’une firme bonheur pour jeunes geeks.
Le « New York Times » vient de publier les compte-rendu d’interviews de 14 managers issus des hautes sphères de la société. Ils ont quitté ou sont sur le point de le faire, une entité dans laquelle les scandales de harcèlement et les dissensions internes pourrissent l’ambiance.
Ces managers parlant sous le couvert de l’anonymat par peur des représailles, ont confirmé que Google souffrait des symptômes des sociétés en phase de maturité développée, à savoir une bureaucratie paralysante, une tendance vers l’inertie et une fixation obsessionnelle vers la perception que le public pouvait avoir d’elle.
Le style de M. Pichai, le CEO, est remis en cause, ils lui reprochent de ne pas réagir assez rapidement sur des éléments clefs et de ruminer trop longtemps des décisions urgentes. La tentative de M. Pichai de faire baisser la température en interne n’aurait fait que renforcer les luttes internes.
Malgré tout ils lui reconnaissent que Google est mieux géré qu’avant son arrivée en 2015. Il a instauré un ensemble de mécanismes de décentralisation permettant d’agir sans sa signature. Il n’en reste pas moins que Google manifeste une peur du risque qui lui fait rater des décisions solides comme l’achat éventuel de « shopify » qui lui aurait permis de se positionner face à Amazon. A la place, la société cherche à développer des solutions en interne. Pichai est devenu la cible emblématique des politiciens de droite et de gauche qui mettent la société sous pression avec des menaces d’actions en justice. Au moins 36 vice-présidents ont quitté Google depuis l’année dernière selon une analyse de leur profil sur LinkedIn. Le licenciement d’une de leurs plus fameuses chercheuses en intelligence artificielle, maquillé sous forme de départ consensuel, a provoqué une pétition interne avec plus de 2000 signatures. Noire, elle avait critiqué le manque de diversité dans le recrutement de la société. Affaires à suivre!
Les méga-calculateurs, un défi à l’environnement
La protection de l’environnement freine la dissémination des centres de calcul.
Comme le citait « nbc news » dans une contribution du 19 juin dernier, la voracité en eau et en énergie des data center est de moins en moins bien acceptée. De plus mis en rapport avec la faiblesse des emplois crées, la pilule passe mal. Netflix, Youtube, le « gaming » et le travail à domicile ont fait bondir les besoins en puissance de calcul. D’après « synergie research group », il y existe 600 méga-calculateurs à la fin de 2020, le double par rapport à 2015 dont 60% hors États-Unis. Sur ce nombre Amazon, Google, et Microsoft comptent pour plus de moitié. A cela rien qu’aux États-Unis, il faut rajouter 1800 centres de colocation, plus petit que ceux des grands mais moins efficaces en termes de consommation d’énergie et d’eau car ils gèrent des systèmes informatiques d’origine et de technologie variées.
Selon la « Texas Tech University » la consommation typique de l’un de ces centres est de 11 et 19 millions de litres d’eau par jour. D’après des chiffres issus de source officielle française en juin 2020 les centres informatiques utilisés par des entreprises et individus résidant en France en 2019 représentent 14% de l’empreinte carbone du numérique en France. Leur construction seule représente 43 % du bilan carbone des data center. Tous les grands informent qu’ils visent le carbone positif et Microsoft a fait savoir qu’ils seront positifs en matière de consommation d’eau en 2030.
En attendant, tant que ces méga-entreprises seront convaincues qu’avec de l’argent, ils sont au-dessus des lois, la vie privée du citoyen sera une denrée négociable. Comme le notait Edgar Morin dans une récente interview diffusée sur France Inter, toutes les composantes pour un contrôle absolu de la société sont présentes.
Par Cadfael