Était jouée au Grand Théâtre de Luxembourg la pièce « Tout mon amour » écrite par Laurent Mauvignier et mise en scène par Arnaud Meunier, assisté de Parelle Gervasoni.
Par Karin Santer / © Pascale Cholette
Un homme revient dans son village d’enfance à la mort de son père. Son épouse le rejoint dans la maison familiale mais elle ne veut pas s’attarder. Alors que l’homme est au téléphone, en train de s’occuper de régler toutes les formalités administratives suite à l’enterrement de son père, quelqu’un sonne à la porte… La Femme va ouvrir, devient hystérique et hurle : « dégage, fous le camp, mais fous le camp espèce de folle, espèce de cinglée, dégage d’ici, je te dis, disparais…» Car une jeune fille apparaît soudainement, dévoilant ainsi le drame vécu par ce couple 10 ans auparavant.
Leur petite fille âgée de 6 ans à l’époque a mystérieusement disparu dans les bois situés à côté de la maison du grand-père décédé… À ce moment, le couple voit leurs vies chanceler car cette jeune fille de 16 ans prétend être leur fille Elisa…
L’homme doute, s’interroge, se pose une tonne de questions tandis que son épouse refuse totalement et catégoriquement de la croire… L’homme va alors demander à son fils, resté à Paris pour ses révisions, de le rejoindre lui et sa mère, dans la maison de son grand-père pour les éclairer, leur parler encore de cette dernière journée qu’il a passée avec sa soeur… Les trois protagonistes se retrouvent alors dans la maison familiale avec de nombreuses interrogations.
Est-ce possible que ce soit elle ? Le père y croit et veut y croire tandis que la mère réfute en bloc cette possibilité ! Comment ont-ils pu vivre ou survivre après la survenue de ce drame ? Comment ont ils pu rester ensemble et continuer ? La mère va alors décharger une haine incontrôlée à l’encontre de son fils, celui qui est resté, celui qui est présent, celui qu’elle a vu grandir, qu’elle a du nourrir, celui qui « l’a éloignée chaque jour de sa petite fille disparue. »
Comment supporter l’absence d’un enfant puis son retour alors qu’on le croyait perdu à jamais…?Comment se remettre d’une telle disparition mystérieuse et soudaine ? Dans cette pièce, les absents ont une place aussi importante que les vivants… Les morts continuent ainsi à hanter les vivants tel que le grand-père qui vient de mourir et pourtant ne cesse d’harceler, en bon paysan sec et acariâtre, son fils, le tiraillant par de nombreuses remarques brusques et désagréables… Une jeune fille sonne à la porte et se présente comme leur petite fille disparue tragiquement… Le doute s’installe, puis laisse place à l’intrigue…
L’homme, interprété par Philippe Torreton, est exceptionnel dans son rôle de père qui croit et veut continuer à croire au retour possible de sa fille adorée, Elisa… Sa femme est magistralement incarnée par Anne Brochet, tantôt inconsolable, tantôt hystérique, et tout simplement magnifique lorsqu’elle manifeste son déni, ses souffrances, ses confessions… elle en est bouleversante. Le grand-Père, joué par Jean-François Lapalus, est également impressionnant en paysan bourru et en fantôme qui rôde !
Le Fils, interprété par Romain Fauroux est, on ne peut plus, convaincant lorsqu’il encaisse les états d’âme et reproches injectés violemment par sa mère, lui qui a dû vivre et supporter toute sa courte vie cette tragédie familiale et toute cette souffrance ! Quant à Elisa, la jeune fille disparue qui réapparaît vêtue tout de noir, est également superbement jouée par Ambre Febvre !
La scénographie de Pierre Nouvel, avec un décor totalement années 70, la maison familiale du grand-père occupant toute la scène avec ses tables et chaises en Formica blanc, son téléphone fixe, son gros téléviseur, est sobre… La musique de Patrick de Oliveira omniprésente, obsédante voire crispante ainsi que le jeu de lumières d’Aurélien Guettard, renforcent le trouble persistant.
Une pièce puissante et poignante, d’une immense intensité ! Exceptionnelle !