Alors qu’en ce mois de mars se déroule la Journée Internationale des Droits de la Femme (le 8 mars), pas un jour, pas une semaine sans que son statut ne soit remis en question. Nous sommes allées à la rencontre de Christiane Wickler, présidente de la FFCEL et fondatrice de l’enseigne Pall Center, pour évoquer l’actualité, la place de la femme au sein de la société luxembourgeoise et la question de l’égalité des sexes. Découvrez l’interview intégrale.

L’arrivée au pouvoir de Donald Trump menace sérieusement le statut de la femme, en témoigne son décret en défaveur de l’IVG. Quel regard portez-vous sur cela et sur toutes les manifestations qui en découlent?

Je crois en la force de la manifestation. C’est très positif. Je pense que la situation ne pourra se résoudre que par la femme.

La place de la femme dans le monde du travail luxembourgeois a-t-elle évolué?

J’ai 57 ans, et depuis mes débuts dans le monde du travail, j’ai pu constater de grands changements. Mais la route à parcourir est encore longue. Changer les mentalités prend du temps. Quand j’étais plus jeune, les policiers me demandaient si je conduisais la voiture de papa lors des contrôles. A présent, ils pensent que c’est celle de mon mari… Nous allons devoir travailler ensemble si nous voulons vraiment faire avancer les choses. Le poids de l’Eglise en est encore bien ancré dans nos mentalités et nos mœurs, et notamment à Luxembourg. Mais je dirais que c’est l’affaire d’une petite dizaine d’années. Nos enfants portent en eux ces valeurs pour lesquelles nous nous battons: l’égalité, la reconnaissance des qualités no gender.

Quelles sont les inégalités qui demeurent rédhibitoires à vos yeux?

Cela va de l’anecdotique à de preuves véhémentes de sexisme. Par exemple, nombreux sont les courriers à être adressé à «Monsieur» en premier lieu.

Mais les hommes ne sont pas les seuls fautifs. Je constate que les femmes ne sont pas assez tolérantes les unes envers les autres. Récemment s’est créée une nouvelle lutte des classes, entre les mères au foyer et les femmes actives. Une espèce de jalousie s’est immiscée entre elles et les poussent dans des opinions divergentes qui ne font qu’alimenter le flou quant aux questions d’égalité. Là encore, je pense que cela se résoudra naturellement dans les années à venir, quand nos enfants deviendront adultes.

Le 7 novembre dernier, les femmes ont été appelées en France à cesser de travailler à 16h34, en réaction contre les inégalités salariales. Que pensez-vous d’une telle initiative? On en voit peu de ce genre à Luxembourg. Quelle en est la raison?

Je reviens de la Fashion Week au Danemark. Là-bas, les femmes sont invitées à payer les chaussures 18% de moins, car cela représente l’écart de salaire par rapport à leurs homologues masculins. Il faut poursuivre ces actions qui, à force de faire parler d’elles, contribueront à faire évoluer les mentalités.

Quant au Grand-Duché… Je pense que le silence tient au fait que les Luxembourgeois n’ont pas véritablement de vision objective de la situation. En effet, ils sont nombreux à travailler dans la fonction publique… Je pense également que nous n’avons pas assez de données chiffrées à l’appui pour nous lancer dans des revendications.

Vous êtes présidente de la Fédération des Femmes Cheffes d’Entreprise du Luxembourg (FFCEL): vous constituer dans une association qui prône l’entrepreneuriat au féminin était-il fondamental pour vous ?

En effet, je pense que cela était fondamental. D’abord parce que la femme apporte un regard différent sur le monde de l’entreprise.

Mais justement distinguer l’entrepreneuriat féminin n’est-il pas une démarche qui va à l’encontre de l’égalité des sexes?

Tout à fait. Attention, je ne dis pas que la femme est meilleure. Elle est différente, et c’est en cela que l’entrepreneuriat au féminin est intéressant. Il est surtout grand temps de stopper cette compétition idiote. Ce qui importe est d’apporter un projet, là où il pourra s’épanouir et ainsi progresser. Peu importe qu’il soit conduit par une femme ou un homme.

Si le premier objectif de la FFCEL était de montrer qu’il existait aussi des femmes-chefs d’entreprises, in fine, notre volonté est de devenir obsolète, en allant vers la création d’une génération d’entrepreneurs no gender. L’idée de la fédération est de réunir, et non de séparer. Hommes ou femmes, nous tendons vers le même but.

Estimez-vous que les femmes sont suffisamment protégées par la loi du travail?

Tout à fait. Nous avons beaucoup de chance au Luxembourg, et pour ma part, ça n’est pas par hasard si j’ai décidé de m’y installer. Il faut reconnaître que c’est nettement plus confortable d’être chef d’entreprise au Grand-Duché, qu’en Belgique, par exemple. Le chemin est plus court, plus rapide, et, surtout, on vous laisse vivre.

Vous êtes vous-même mère de famille, engagée en politique, cheffe d’entreprise, présidente de la FFCEL, comment jonglez-vous entre toutes ces casquettes? Arrivez-vous à conserver du temps pour vous?

La journée dispose de 24h, la semaine de sept jours. Il faut donc s’organiser dans ce cadre. J’ai beaucoup de chance, car j’aime partager et je sais faire confiance aux personnes avec lesquelles je collabore.

Ça n’est pas difficile?

Mais c’est impossible de faire autrement. Mon but est que mon entreprise me survive. Il faut donc que je me prépare à laisser la main.

Quel conseil donneriez-vous aux femmes pour s’organiser et mener leurs différentes vies de front sans s’y perdre?

Pour commencer s’aimer soi-même et ne pas attendre la reconnaissance. Il faut aussi être égoïste et croire en soi, sans se laisser polluer et déstabiliser par les avis extérieurs. Faire confiance aux personnes qui le méritent, également. Enfin, il faut accepter les échecs et être capable de rebondir. Rester optimiste, quel que soit le cas de figure, somme toute.

Quel est votre modèle, quelle femme vous inspire?

Elles sont nombreuses. Si je ne dois en citer qu’une, je dirais Simone Weil.

La génération Z se présente comme une génération de slasheurs, qui cumulent les casquettes, et n’envisagent pas de faire de longues carrières au sein d’une même entreprise. Ce business model peut-il durer?

Bien sûr. Nous allons nous adapter à cette nouvelle manière de fonctionner. Comme nous l’avons toujours fait d’ailleurs. Le plus urgent est d’apprendre à nous comprendre, d’intégrer leur langue, leurs codes. La génération Z se caractérise notamment par une capacité de résilience incroyable, qui est véritablement leur principal atout. Ils oublient vite leurs erreurs, ne se construisent pas sur des croyances toutes faites. Nous avons besoin d’une génération qui secoue la poussière. Ils le feront!

 

Crédit photo: Jean Bettingen