Telegram, la plateforme de communication sociale et de messagerie cryptée d’origine russe, est devenue un carrefour d’applications criminelles. Son créateur, Pavel Durov, un Russe aux nombreuses nationalités, a été arrêté le 24 août dernier par les autorités françaises au Bourget, à la descente de son jet privé.

Par Cadfael

Un personnage aux multiples facettes

Durov est né en 1984 à Saint-Pétersbourg, tout comme Poutine. À l’université, lui et d’autres auraient eu l’idée de lancer une version russe de Facebook. En 2014, après des déboires avec la censure des autorités russes, il revend ses parts et quitte la Russie pour lancer Telegram, dont le premier siège se trouvait à Berlin avant d’être transféré à Dubaï, fiscalité oblige. Curieusement, il retournera plus tard en Russie. En 2021, il obtient la nationalité émiratie et, de manière surprenante, la nationalité française, selon une procédure assez rare et très confidentielle, d’après Le Monde ! Actuellement, il est mis en examen en France pour refus de coopérer avec les autorités, complicité dans des affaires criminelles, diffusion d’images pédopornographiques, trafic de stupéfiants, etc. Libéré sous caution de 5 millions d’euros, il a interdiction de quitter la France et doit se présenter deux fois par semaine au commissariat local. Selon la presse française, les effets de sa détention se feraient déjà sentir, et Telegram serait devenu plus collaboratif : « Un magistrat indique même que la société, administrée depuis Dubaï, vient de répondre à sa sollicitation dans une affaire d’assassinats commandités via l’application cryptée », confie L’Express.

L’innocence est tout un art.
« Si 99,999 % des utilisateurs de Telegram n’ont rien à voir avec la criminalité, les 0,001 % impliqués dans des activités illicites donnent une mauvaise image de l’application », a reconnu Durov, selon Le Parisien du 6 septembre. Il a également clamé « qu’il veut faire de la modération de sa messagerie une fierté »
Un autre paradoxe dans cette histoire qui n’en manque pas, c’est qu’en Russie, Telegram est l’outil social le plus utilisé avec 49 millions d’utilisateurs quotidiens. Le fait que chacun puisse y créer un canal crypté est également très apprécié par les services de sécurité. Selon certains commentateurs, Poutine aurait rencontré Durov en Azerbaïdjan avant son arrestation par la France, ce que le Kremlin dément.

L’autre face de la médaille

Un rapide parcours de la presse d’investigation internationale donne une image bien différente du milliardaire de la tech. Selon l’édition portugaise de Publico du 20 octobre, Telegram compte plus de 66 000 participants dans ce pays, dont la majeure partie serait abonnée à des canaux ayant un seul but : « échanger de manière non consentie des photos intimes de milliers de femmes ». Certains groupes sont payants et, bien sûr, totalement anonymes. L’upskirting (une forme de voyeurisme à la mode) et le revenge porn (la distribution d’images sexuellement explicites non consenties à des fins de vengeance) y font fureur.

Les journalistes américains et ceux de la BBC ne sont guère plus cléments. Dans un article du 31 août, le correspondant de la BBC, spécialisé dans le numérique, explique qu’après s’être inscrit sur Telegram, il s’est retrouvé abonné à des groupes sans son consentement. Parmi ceux-ci : « Le Jardin des drogues » (9 200 membres) et « Souvenirs et drogues » (7 000 membres), où tout s’achète avec des liens vers des points de vente dans des villes à travers le monde. On y trouve des sites pour l’acquisition d’armes, de cartes de crédit, de bons cadeaux pour des voyages de luxe, de passeports… Bref, tout l’attirail du parfait criminel. Des experts en cybersécurité soulignent que Telegram a été, pendant trop longtemps, un paradis du crime en matière d’images et vidéos pédophiles. Selon un autre expert, Telegram a été la plateforme de communication de l’État islamique pendant des années et serait utilisée par les services de sécurité russes.

L’Icare aux ailes dorées

Les affirmations de Durov, qui se réclame haut et fort d’un mode de vie ascétique – sans alcool, ni cigarettes ni drogues – et déclare ne rien posséder, ont été mises à mal par le divorce tapageur dans lequel il est engagé avec son ex-compagne, une Russe professeure de yoga et avocate, avec laquelle il aurait trois enfants. Il transparaît que Durov, dont la fortune est estimée entre 9 et 15 milliards, et qui affirme avoir plus de cent enfants grâce à la procréation artificielle, pratiquait, loin des yeux du public, un style de vie plutôt décadent. Un beau divorce en perspective devant une justice suisse discrète qui semble embarrassée. On notera qu’au nom de la liberté d’expression, Elon Musk, père de 11 enfants et lui aussi convaincu qu’il faut repeupler la Terre, a condamné l’arrestation de Durov et demandé sa mise en liberté, tout comme certains groupes criminels sur Telegram. Dans ce jeu d’ombres, où respect et liberté entrent en collision avec la raison d’État, quels seront les gains pour l’État de droit et la démocratie en Europe et dans le monde ? L’Icare de l’informatique semble jusqu’à présent avoir réussi à rester suffisamment éloigné de certaines sources de pouvoir pour ne pas brûler ses ailes dorées et tomber du dixième étage d’un immeuble, tout en demeurant assez proche des milieux très opaques de la finance, extrêmement lucrative.