Sharón Zoldan, historienne d’art et conseillère en art, a créé SZ|Advisory à Los Angeles, sa ville natale, avant de lui donner pignon sur rue dans la capitale luxembourgeoise. Rendez-vous mi-juillet dans ce bel espace où la trentenaire se raconte, parle de son enfance et de son arrivée au pays de son mari, associé et complice de plongée. Elle évoque son amour des langues, des romancières britanniques comme les sœurs Brontë et Jane Austen et son coup de cœur pour Caravaggio.
Par Karine Sitarz / © Genevieve Lutkin
Vous avez grandi à Los Angeles. Évoquons votre jeunesse. Y a-t-il un souvenir qui vous accompagne ?
Ma mère, très pédagogue, emmenait mon jeune frère (ndlr : Oren, diplômé en design industriel, qui travaille avec Sharón) et moi, dans des musées. On avait moult activités artistiques et artisanales, on fabriquait nos bougies à la maison, on dessinait dans les jardins de sculptures où on pique-niquait. Notre créativité vient aussi de notre père qui a étudié le design et construisait toujours quelque chose. Il se portait même volontaire pour fabriquer les hanoukkia et menora pour notre école. Mais, dans ma vie d’enfant, il y a eu un moment particulier, la découverte lors d’une rétrospective Van Gogh au musée Getty d’une peinture qui m’a bouleversée, les textures, les empâtements, les couleurs, elle était magnifique, vibrante (ndlr : Sharón montre « Un crabe sur le dos » à l’écran). C’est une peinture vraiment triste, elle date de l’époque où Van Gogh est entré à l’asile psychiatrique, ce que m’a dit ma mère après la visite. J’étais émue de voir à quel point on pouvait apprendre sur un artiste à travers la représentation de ses sujets.
Mais quel fut le déclic pour le choix de vos études ?
Si ma passion artistique vient de mon éducation, j’ai choisi l’histoire de l’art parce qu’elle touche à tous les domaines, à la politique, à la culture, aux religions… J’en ai été convaincue pendant mon année d’études à Florence, il y avait là-bas une manière si holistique de voir la culture. Quant aux langues, j’ai eu la chance de grandir dans un milieu multilingue. A la maison on parlait hébreu, ma nounou m’a appris l’espagnol et avant de partir étudier en Italie, j’ai appris la langue.
Vous êtes passée par Christie’s, le Hammer Museum et plusieurs galeries avant de créer en 2010 SZ|Advisory. Pourquoi ?
Quand j’ai choisi l’histoire de l’art, c’était pour devenir curatrice mais comme je voulais me concentrer sur l’art contemporain, il était important d’être active sur la scène artistique et non dans une bibliothèque. Mon passage du monde universitaire à l’entrepreneuriat vient de ce que je voulais faire ce que j’aimais mais pouvoir en vivre donc gagner de l’argent. Indépendante, j’ai une grande liberté, je peux choisir les artistes, les œuvres, les clients.
Conseillère en art, comment votre job se concrétise-t-il au quotidien ?
Beaucoup de lectures et de recherches pour me tenir au courant, découvrir les artistes émergents et suivre les autres. Beaucoup de voyages pour voir les œuvres parce que mes clients n’ont pas toujours le temps, je parcours foires, ventes aux enchères, ateliers d’artistes, musées, galeries… Ensuite il faut sélectionner les œuvres à leur présenter. Le fil rouge est bien sûr la qualité, l’esthétique et l’intemporalité, il faut repérer les œuvres qui pourraient intégrer une institution muséale. Il faut également prendre en compte la valeur car il s’agit aussi d’investissement.
Est-ce difficile de s’imposer dans le milieu du marché de l’art en tant que jeune femme ?
Très difficile. Les femmes ont une sensibilité toute particulière pour les échanges et un sens esthétique aiguisé mais cela reste hélas un monde d’hommes. Travailler seule en tant que femme sans la protection d’une entité plus grande comme une galerie ou un musée veut dire qu’on est très vulnérable, on est confrontée à de l’agressivité et à des intentions pas toujours justes. Voilà pourquoi je suis ravie que mon mari, Tobias, soit devenu mon associé, il y a un équilibre et une belle synergie. Ceci dit, j’ai travaillé seule pendant dix ans (rires).
Pourquoi avoir choisi Luxembourg pour ouvrir votre deuxième bureau ?
C’est la faute de mon mari (rires). Je suis venue ici en 2019, juste avant le Covid. Auparavant, je travaillais de la maison mais ici j’ai eu l’opportunité d’avoir un espace (ndlr : un bel écrin, dans la vieille ville, où elle expose des œuvres de sa collection), c’est un atout supplémentaire.
Quel regard portez-vous sur la scène artistique du Luxembourg ? Que vous inspire la Luxembourg Art Week ?
La Luxembourg Art Week est élégante et internationale, c’est essentiel. Les galeries sont ici bien ancrées et les collectionneurs ont des liens étroits avec elles. Côté artistes, j’ai découvert David Brognon et Stéphanie Rollin à la Fiac, ils sont devenus des amis et m’ont fait rencontrer des gens merveilleux. Suzanne Cotter m’a invitée à rejoindre le petit cercle des collectionneurs du Mudam avec lequel j’ai de bons liens, de même avec le Casino Luxembourg et les galeries, notamment Zidoun-Bossuyt et Nosbaum Reding.
Parmi vos nombreux lieux de passage, y en a-t-il un qui vous a plus marquée ?
Bruxelles, je suis impressionnée par sa scène artistique, son monde de l’art et la qualité de ses galeries, Anvers aussi. Par ailleurs, j’ai trouvé intéressant de voir comment les choses ont bougé entre Londres et Paris à cause du Brexit. Enfin, j’adore toujours l’Italie.