Peut-on maîtriser le plaisir comme on résout un Rubik’s Cube ? C’est en explorant ce paradoxe que Sarah Boleslava a imaginé L’Algorithme de l’Orgasme, un court-métrage de 16 minutes réalisé par Paul Gojecki et Mathias Priou. Porté par Sarah Boleslava et Julie Ferrier, le film suit Annie, une femme obsédée par le contrôle, confrontée à un exercice qui bouleversera sa perception du lâcher-prise. Présenté en avant-première au Luxembourg City Film Festival le 10 mars 2025, il propose une réflexion aussi subtile qu’originale sur la liberté et le plaisir…
Propos recueillis par Alina Golovkova
Le titre du film est intriguant. Pourquoi avoir choisi L’Algorithme de l’Orgasme ?
Sarah Boleslava : Parce que le titre est un paradoxe en lui-même, et j’adore les paradoxes. Plus sérieusement, je me suis mise au Rubik’s Cube pendant l’écriture du film. J’ai appris à le résoudre en environ deux minutes, et ça m’a fascinée : ce n’est pas une question d’intuition, mais de méthode. Il suffit de suivre les bons algorithmes, étape par étape. Et je me suis dit : tiens, c’est fou comme je peux avoir du plaisir dans le contrôle, si seulement c’était aussi simple dans les autres aspects de la vie. L’orgasme, et plus largement le lâcher-prise, échappent à toute logique. Plus on essaie de le contrôler, plus il s’éloigne. C’est en jouant avec cette idée paradoxale que le titre est né.



L’Algorithme de l’Orgasme aborde la thématique du lâcher-prise, notamment sous un prisme féminin. Vous avez déclaré que ce film est né d’une prise de conscience personnelle. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette expérience et comment elle a influencé votre écriture ?
Sarah Boleslava : J’ai toujours voulu bien faire, cocher les bonnes cases, ne pas faire de vagues. J’ai longtemps cru que la réussite, c’était avoir un parcours tracé, stable, logique. Mais un jour, j’ai réalisé que cette quête du contrôle me coupait de l’essentiel : être moi-même. Cette prise de conscience a été brutale, et elle s’est imposée comme une évidence dans l’écriture du film. L’Algorithme de l’Orgasme, c’est ce cheminement : comprendre que vouloir tout maîtriser, c’est justement ce qui nous empêche d’être libres.
Le film parle d’une femme en quête de liberté, sans male gaze et sans enjeu de couple. Est-ce aussi une manière de repenser la représentation du plaisir féminin au cinéma ?
Sarah Boleslava : Oui, et c’était même une nécessité pour moi. J’ai grandi avec des films où les personnages féminins étaient systématiquement définis par leur relation aux hommes. Soit elles cherchaient l’amour, soit elles le perdaient, soit elles se battaient contre lui. Mais qu’en est-il des femmes qui existent pour elles-mêmes ? L’Algorithme de l’Orgasme est un film qui remet le plaisir au centre, mais un plaisir qui n’est pas dicté par le regard des autres. C’est une quête personnelle, intime, qui ne dépend d’aucun partenaire.
“J’ai grandi avec des films où les personnages féminins étaient systématiquement définis par leur relation aux hommes. Soit elles cherchaient l’amour, soit elles le perdaient, soit elles se battaient contre lui. Mais qu’en est-il des femmes qui existent pour elles-mêmes ?”
Sarah Boleslava, actrice et scénariste du film L’Algorithme de l’Orgasme
Vous êtes à la fois scénariste et actrice principale. Comment avez-vous jonglé entre ces deux rôles ?
Sarah Boleslava : Avec une bonne dose de folie et une confiance totale en notre équipe. Écrire, c’est garder une vision globale. Jouer, c’est lâcher prise et se plonger entièrement dans l’instant. Passer de l’un à l’autre demande une gymnastique mentale assez intense, mais j’étais entre de bonnes mains. Paul Gojecki et Mathias Priou m’ont permis de ne pas porter toute cette charge seule. Ils ont su me guider en tant qu’actrice tout en respectant mon regard d’autrice.
Comment s’est passée la collaboration avec les réalisateurs Paul Gojecki et Mathias Priou ?
Sarah Boleslava : C’était une aventure profondément créative et stimulante. Avec Paul, on se connaît depuis toujours, et il y a une forme d’évidence dans notre manière de travailler ensemble. Il comprend instinctivement ce que je veux raconter, et on partage cette envie d’explorer les émotions avec sincérité. Mathias a apporté un regard complémentaire, une précision et une rigueur qui ont enrichi le film. Travailler avec eux, c’était comme jouer une partition à trois voix : chacun apportait sa note, et ensemble, on trouvait l’harmonie.
Le film passe haut la main le test de Bechdel et met en avant une équipe technique majoritairement féminine. Était-ce un choix conscient pour défendre une certaine vision du cinéma ?
Sarah Boleslava : Oui et non. Oui, parce que je pense que c’est important de créer des espaces où les femmes ont la place qu’elles méritent, devant et derrière la caméra. Mais en même temps, ce n’était pas une case à cocher. On a juste eu envie de travailler avec les bonnes personnes, et ça s’est fait naturellement.
Une anecdote amusante du tournage mentionne que vous avez appris à résoudre un Rubik’s Cube en deux minutes. Cet élément a-t-il une signification particulière dans le récit ?
Sarah Boleslava : Totalement. Le Rubik’s Cube est une métaphore centrale dans le film. Annie veut tout résoudre, tout comprendre, tout contrôler. Elle pense que si elle applique la bonne méthode, elle finira par atteindre son objectif. Mais c’est justement cette obsession du contrôle qui l’empêche d’y arriver. À un moment, elle doit faire un choix : continuer à s’accrocher à sa logique ou accepter l’inconnu.
On parle souvent de charge mentale et de contrôle dans la vie des femmes, un véritable enjeu pour bon nombre d’entre nous. Si vous deviez donner un conseil à une femme qui se reconnaît dans le personnage d’Annie et qui veut apprendre à lâcher prise, que lui diriez-vous ?
Sarah Boleslava : Je lui dirais de se donner le droit de ne pas savoir. De ne pas chercher à tout comprendre tout de suite. De ne pas se juger si elle n’y arrive pas du premier coup. Le lâcher-prise, ce n’est pas un objectif à atteindre, c’est un état d’être qui vient avec le temps, l’expérience et surtout, l’acceptation de soi. Et c’est siiii compliqué ! Mais faut souffler un bon coup. Je lui dirais que le lâcher-prise m’a sauvée, et l’encouragerais à être patiente, de continuer à se renseigner sur le sujet et de faire le travail.
Vous avez quitté une carrière en entreprise pour vous consacrer au cinéma. Ce changement radical a-t-il été un premier pas vers votre propre lâcher-prise ?
Sarah Boleslava : Oui, c’était même un saut dans le vide. J’ai longtemps suivi un chemin très structuré, avec des études, un job stable… et pourtant, quelque chose sonnait faux. J’avais mis tellement d’énergie à construire cette vie que je n’ai pas osé la remettre en question tout de suite. Il a fallu un électrochoc pour que je réalise que je n’étais pas là où je voulais être. Partir vers le cinéma, c’était abandonner une forme de sécurité, mais c’était aussi retrouver une forme de sincérité avec moi-même.
Quel serait votre rêve en tant qu’actrice et scénariste ? Quelle collaboration vous ferait vibrer ? Quels sont vos futurs projets ?
Sarah Boleslava : Mon rêve, c’est de continuer à raconter des histoires qui touchent, qui bousculent, qui résonnent. J’adorerais collaborer avec des cinéastes comme les Daniels (Daniel Kwan et Daniel Scheinert), Phoebe Waller-Bridge, Rose Glass ou encore Kyan Khojandi, et Coralie Fargeat ! Ce sont toutes et tous des personnes qui m’ont profondemment inspirées ! Ils ont une approche viscérale du cinéma et une capacité incroyable à traiter de sujets profonds.
Côté projets, je développe actuellement :
- So Happy I Could Die, réalisé par Hannah Bales et produit par Paul Thilges Distribution. Un projet novateur, où des personnages féminins affrontent une situation dramatique intense, avec une approche féministe.
- Le Poids des Ailes, avec à nouveau Paul Gojecki et Mathias Priou à la réalisation, qui marque une nouvelle collaboration avec eux et poursuit cette exploration du lâcher-prise et de la liberté
- Et Blood, mon premier long-métrage en écriture, un conte macabre et poétique sur la honte et la métamorphose.
J’ai hâte de voir chacun de ces films prendre vie et, surtout, de continuer à explorer le cinéma avec autant de passion et de liberté.
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