Si l’isolement social et la solitude existaient avant la pandémie de Covid-19, les confinements successifs et les mesures de distanciation sociale ont exacerbé le problème. La société est-elle suffisamment préparée à affronter ces risques pour la santé mentale ?

Texte : Laura Tared

LA DÉPRESSION SAISONNIÈRE

Les changements de saison ont des répercussions sur la santé, tant physique que mentale. L’impact sur la santé physique est bien connu, notamment avec l’augmentation des maladies respiratoires en automne et en hiver, comme le rhume, la grippe, ou encore les infections des voies respiratoires. Au printemps, ce sont les allergies saisonnières dues au pollen qui se manifestent. Sur le plan mental, les effets sont plus subtils, bien que la médecine ait clairement identifié leur existence. En France, près d’une personne sur dix souffre de dépression saisonnière, particulièrement dans les régions du nord, où l’exposition à la lumière naturelle est réduite. Les changements de saison perturbent le cycle de sommeil et, plus généralement, la santé mentale.

Il est établi que l’humeur humaine suit un cycle saisonnier : on se sent généralement plus enjoué en été. Certaines études suggèrent que la sérotonine, une hormone régulatrice de l’humeur, et la dopamine, impliquée dans les circuits de la récompense, de l’addiction et des fonctions cognitives, suivent des rythmes saisonniers. Gilles Vandewalle, chercheur à l’Université de Liège(1), a notamment participé à une étude sur la saisonnalité des fonctions cognitives humaines, menée en collaboration avec des scientifiques britanniques. Celle-ci a révélé que certaines fonctions cognitives, comme l’attention et la mémoire à court terme, varient selon les saisons.

Outre la régulation de l’humeur, d’autres fonctions corporelles, telles que l’immunité, la pression artérielle ou le taux de cholestérol, présentent également une variabilité saisonnière. En hiver, on observe une hausse du nombre de décès, tandis que le printemps est marqué par une augmentation des suicides, probablement en lien avec des facteurs climatiques(2).

LE TROUBLE AFFECTIF SAISONNIER (TAS)

Le trouble affectif saisonnier, ou dépression hivernale, est souvent mal diagnostiqué. Bien qu’il partage des similitudes avec la dépression « classique », son caractère saisonnier le distingue. Il survient principalement en automne et en hiver, lorsque la lumière naturelle diminue. Contrairement à la dépression classique, qui se traduit souvent par une perte d’appétit, une perte de poids et une diminution du sommeil, le TAS entraîne généralement une augmentation de l’appétit, une prise de poids et un besoin accru de sommeil. Les symptômes des deux types de dépression incluent toutefois une fatigue persistante, de l’irritabilité, une baisse de la libido, une perte d’intérêt et des difficultés de concentration. Le principal facteur différenciant reste la saisonnalité des symptômes. Les changements d’humeur seraient liés à un dysfonctionnement de l’horloge biologique interne à l’arrivée de l’automne, provoquant un déséquilibre hormonal, accentué par une carence en vitamine D fréquente en hiver. Le traitement du TAS repose principalement sur la luminothérapie, qui consiste à s’exposer à une lumière artificielle imitant celle du soleil pendant 30 minutes chaque jour. Plusieurs études, notamment au CHU de Lille, confirment l’efficacité de cette méthode. En complément, des techniques de gestion du stress et des antidépresseurs peuvent également être utilisés(3).

COGNITION ET SAISONNALITÉ

Des recherches menées à l’Université de Liège et publiées dans la revue PNAS ont montré que certaines fonctions cognitives, comme l’attention et la mémoire à court terme, suivent aussi un rythme saisonnier. L’activité cérébrale pour les tâches attentionnelles est maximale en juin et minimale en décembre, tandis que les tâches exécutives atteignent leur pic à l’équinoxe d’automne et leur creux à l’équinoxe de printemps. Ces variations suggèrent une productivité intellectuelle fluctuante selon les saisons.

ISOLEMENT DES AÎNÉS ET DES JEUNES

Plus d’une personne sur cinq se dit affectée par la solitude(4), et 83 % en souffrent. L’isolement peut résulter de facteurs structurels (perte d’emploi, retraite, décès) ou individuels (dépression, faible estime de soi, traumatismes). L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a qualifié la solitude de menace urgente pour la santé publique, ayant des conséquences graves sur le bien-être mental et physique. L’isolement social, souvent vécu par les personnes âgées vivant seules ou les étudiants isolés, peut entraîner des troubles psychologiques, comme l’anxiété et la dépression, et réduire l’espérance de vie. Des études ont montré que la solitude chronique augmentait le risque de déclin cognitif et de démence.

LUTTER CONTRE L’ISOLEMENT

Pour les moins vulnérables, des stratégies comme une alimentation équilibrée et l’exercice physique peuvent aider à prévenir la dépression hivernale. Les personnes âgées en meilleure forme peuvent participer à des activités de bénévolat, fréquenter des clubs seniors ou adopter un animal de compagnie. En réponse à ces enjeux, plusieurs initiatives ont vu le jour, comme celles du ministère luxembourgeois de la Famille, qui soutient les Clubs Seniors et encourage le bénévolat, ainsi que des programmes d’intégration pour les migrants âgés et de dialogue intergénérationnel. Les jeunes, eux aussi touchés par l’isolement, ont vu leur situation empirer avec la crise du Covid-19. Une étude de l’Organisation internationale du travail a révélé que les jeunes âgés de 16 à 29 ans étaient parmi les plus affectés par les conséquences de la pandémie(5). Des plateformes comme Solidarite-jeunes.lu au Luxembourg visent à lutter contre cette précarité et cet isolement(6). Les dépressions saisonnières, l’isolement social et la solitude sont des indicateurs alarmants de la fragilité de la santé mentale chez les jeunes et les aînés. Pour y remédier, une prise de conscience collective et une mobilisation à la fois des institutions et des citoyens sont indispensables.

(1) www.rtbf.be/article/uliege-une-etudesur-limpact-de-la-lumiere-sur-lecerveau-10970705

(2) étude française inédite GHU Paris/APHP, Santé Publique France & Météo France révèle la saisonnalité des suicides Marine Ambar Akkaoui, Christine ChanChee, Karine Laaidi, Gregory Fifre, et al. Scientific reports, Nature, 2022

(3) Démether (Dispositif d’Evaluation des Maladies de l’Humeur et leur Traitement), CHR de Lille ; (4)étude de la Fondation de France, 25 janvier 2024

(5) www.ilo.org/fr/publications/les-jeuneset-le-covid-19-impacts-sur-les-emploisleducation-les-droits-et-le-bien-êtremental-des-jeune

(6) www.solina.lu

Article initialement publié dans Femmes Magazine n°262 édition de janvier 2025, à retrouver ici.