La loi du 20 décembre 2024 apporte des changements importants en matière de fiscalité. Pour Joël de Marneffe, legal advisor chez Securex, en termes de politique de rémunération des entreprises, l’impact de la réforme est double : avec un aspect monétaire (financier et fiscal) et un objectif d’attractivité du Luxembourg.
Rédaction : Marc Auxenfants
Joël de Marneffe, quels sont les changements prévus par la réforme ?
Pour les contribuables, le premier effet immédiat porte sur le relèvement des 23 tranches du barème d’imposition. Ces tranches ont été augmentées d’environ 6,5 %. Donc, mécaniquement, nous payons moins d’impôts. Le gain est de 5 à 15 % selon le salaire. Et ce avec un effet immédiat pour toutes les personnes en classe 1 (célibataires et célibataires sans enfants) et classe 2. Pour la classe 1A, le gain d’impôts est un peu plus élevé, pour atteindre jusqu’à 200 euros par mois à partir de 4 000 euros mensuels. L’idée étant de donner un petit coup de pouce principalement aux personnes seules avec enfant à charge, mais aussi de rapprocher un petit peu la classe 1A de la classe 2, qui est moins imposée.
Quels sont les autres changements en matière de crédit d’impôt ?
Le principe du crédit d’impôt consiste à accorder un montant en net basé sur le salaire, et qui s’ajoutera au salaire du salarié. L’employeur verse le crédit d’impôt au salarié et puis est remboursé par l’État. Globalement, le montant du crédit d’impôt a été lui aussi relevé. Ainsi, avec le crédit d’impôt monoparental, la loi instaure un petit coup de pouce supplémentaire pour les personnes monoparentales exclusivement. Son montant varie entre 750 et 3 504 euros, en fonction du revenu. Mais il peut diminuer, si par exemple l’enfant touche aussi une pension alimentaire de la part de l’autre parent. La loi augmente également le crédit d’impôt salaire social minimum (CISSM), de telle sorte que ces salariés qui gagnent le salaire social minimum non qualifié ne paient pas d’impôts du tout. Concrètement, le montant de l’impôt à payer est inférieur au montant des crédits d’impôt figurant sur sa fiche de paie. Et en cas d’indexation salariale, le montant d’impôt augmentera lui aussi. Mais le montant des crédits d’impôt restera supérieur au montant de l’impôt. En conclusion, les personnes touchant le salaire social minimum non qualifié, même en classe 1, la plus lourdement taxée, ne payent plus d’impôts.
« La réforme s’inscrit dans une stratégie de réduction des charges fiscales des ménages et une augmentation de leur pouvoir d’achat. »
Joël de Marneffe, Legal advisor chez Securex
Quels sont les autres éléments de cette réforme fiscale ?
La réforme propose des réductions d’impôts sous forme de primes visant à développer l’emploi au Luxembourg : par exemple dans le cas d’une embauche de jeunes salariés ou de salariés hautement qualifiés. Elles ont pour objet de diminuer l’impôt sur certains montants qui normalement devraient être imposés. Ainsi les jeunes salariés peuvent bénéficier d’une exemption d’impôts (totale ou partielle) sur l’éventuelle prime ou bonus versés par l’employeur. Le salarié doit avoir moins de 30 ans et débuter en 2025 une première activité professionnelle en CDI au Luxembourg. Le salaire doit être inférieur à 100 000 euros annuels. Si l’employeur décide d’accorder une prime, le jeune salarié peut bénéficier d’une exemption fiscale de 75 % sur le montant du bonus reçu. La mesure est valable cinq ans, tant qu’on reste chez le même employeur. Pour ce dernier, il n’y a pas de gain à proprement parler.
De plus, le gouvernement a décidé d’améliorer un petit peu les possibilités d’octroyer les primes participatives ; un bonus que l’employeur peut accorder ou non aux salariés de son choix, et dont une partie peut être exempte d’impôt. À condition de ne pas dépasser certains montants, l’idée étant de pouvoir défiscaliser des montants un peu plus élevés pour des salariés qui ont participé à l’accroissement des bénéfices de l’entreprise.
La réforme couvre aussi le régime d’impatrié. De quoi s’agit-il ?
Il s’agit des personnes qui viennent de l’étranger pour travailler au Luxembourg. L’idée est de favoriser l’embauche de salariés considérés comme hautement qualifiés, qui ne résidaient, ni n’étaient imposés au Luxembourg dans les années qui précèdent. L’idée est de leur faire bénéficier d’un régime fiscal favorable, avec une exemption fiscale jusqu’à 50 % du salaire, pendant un certain nombre d’années (jusqu’à huit ans). Les personnes déjà dans l’ancien régime peuvent bénéficier du nouveau régime. Le gain est substantiel pour le salarié ; ce qui constitue un élément d’attractivité, puisqu’il paie des impôts sur la moitié de son salaire (avec un plafond de 400 000 euros par an).
Quid du crédit d’impôts pour les heures supplémentaires des frontaliers ?
Un petit rappel du contexte : les conventions fiscales signées entre les pays frontaliers et le Luxembourg concernent notamment les seuils de tolérance fiscale, au-delà desquels les salariés frontaliers doivent payer l’impôt dans leur pays de résidence. La convention avec l’Allemagne, qui a été révisée avec effet au 1er janvier 2024, prévoit une augmentation du nombre de jours de tolérance de 19 à 34. Un autre point ajouté à la nouvelle convention prévoit qu’un élément de revenu ait été effectivement imposé au Luxembourg, pour qu’il soit exempt d’imposition en Allemagne.
« En termes de politique de rémunération, l’impact est double avec un aspect monétaire (financier et fiscal), et un objectif d’attractivité du Luxembourg. »
Joël de Marneffe, Legal advisor chez Securex
Dans le cas des heures supplémentaires par exemple, celles prestées au Luxembourg sont en théorie imposables au Luxembourg. Mais effectivement, elles ne sont pas imposées, car il existe une exemption fiscale sur le paiement des heures supplémentaires. Avec cette nouvelle formulation, l’Allemagne se réserve désormais le droit d’imposer le montant des heures supplémentaires, qui n’a pas été effectivement imposé au Luxembourg. Les termes de cette convention respectent en cela le modèle de l’OCDE.
Quelle solution la réforme fiscale propose-t-elle dans ce cas ?
Les frontaliers allemands paieront leurs impôts sur les heures supplémentaires au fisc allemand. À titre de compensation, le crédit d’impôt figurant dans la réforme fiscale leur permettra de récupérer une partie des montants versés dans le cadre de la déclaration fiscale.
Plus globalement, quel est l’impact de cette réforme pour le Luxembourg ?
La réforme s’inscrit dans une stratégie de réduction des charges fiscales des ménages et une augmentation de leur pouvoir d’achat. Et aussi dans une ambition d’attractivité économique du pays, qui s’adresse à la fois aux jeunes, notamment les moins de 30 ans, aux salariés impatriés hautement qualifiés et aux frontaliers.
Et quel en est l’impact pour les entreprises ?
En termes de politique de rémunération, l’impact est double. Avec un aspect monétaire (financier et fiscal), et un objectif d’attractivité du Luxembourg. Sur le premier aspect, les possibilités d’exemption fiscale et d’optimisation du package salarial ne sont pas légion au Luxembourg. La réforme prévoit une légère augmentation de la prime participative. L’employeur pourra dégager un peu plus de primes participatives pour exempter un peu plus certains bonus. À condition toutefois que l’employeur puisse payer des bonus. La prime jeunes salariés est un élément qui pourra aider les entreprises à attirer des jeunes talents.
Au niveau des ressources humaines et de la gestion des salaires, quels en seront les coûts pour les entreprises ?
La méthode n’est pas trop compliquée. Au niveau de la prime jeunes, il n’y a pas de formulaires particuliers à remplir, il faut uniquement vérifier que les conditions d’attribution soient remplies. La prime participative nécessite un formulaire d’administration et un travail un peu plus important de vérification à effectuer. Quant au régime des impatriés, il y a un travail de simulation à effectuer pour vérifier si le nouveau système est plus intéressant que l’ancien. Mais le nouveau régime est plus simple. Je pense donc que la réforme implique plus de simplification pour les aspects des primes, qui rappelons-le, sont annuelles uniquement, et constituent une possibilité et non une obligation légale.
Interview initialement publiée dans le Femmes Magazine numéro 265 d’avril 2025.