La santé mentale est un enjeu majeur de société. Pourtant, le sujet reste tabou et les défis sont nombreux : manque de professionnels, difficultés d’accès aux soins, stigmatisation des troubles psychiques… La Dr Sophie Hédo-Quoirin, directrice de la Ligue Luxembourgeoise d’Hygiène Mentale, fait le point sur la situation au Luxembourg et les solutions mises en place pour améliorer la prise en charge des patients.

Rédaction : Alina Golovkova

Comment évaluez-vous l’état de la santé mentale au Luxembourg aujourd’hui ?

Nous constatons une prise de conscience croissante de l’importance de la santé mentale, mais la situation reste préoccupante, en particulier chez les jeunes. Comme dans de nombreux pays européens, la crise du COVID-19 a eu un impact profond sur les adolescents et jeunes adultes. L’isolement, l’anxiété et la perte de repères ont laissé des séquelles durables, et peu de mesures concrètes ont été mises en place pour y remédier.

Dr Sophie Hédo-Quoirin, directrice de la Ligue Luxembourgeoise d’Hygiène Mentale ©Leila Halilovic

Les réseaux sociaux ont-ils un impact sur la santé mentale des jeunes ?

Cela joue. Les réseaux sociaux contribuent à cette fragilité psychologique, notamment à travers le harcèlement en ligne et l’isolement qu’ils peuvent renforcer. La génération ayant traversé l’adolescence pendant la pandémie est particulièrement vulnérable, avec une nette hausse des troubles anxieux et dépressifs, surtout chez les jeunes filles et jeunes femmes.

Quels sont les troubles psychiques les plus fréquents ?

Les troubles les plus courants concernent l’anxiété et la dépression, ainsi que certaines formes d’addictions (drogue, alcool, consommation de substances toxiques). Certains troubles psychiatriques, comme la schizophrénie (1 % de la population) et les troubles bipolaires, restent constants et touchent autant les hommes que les femmes, quel que soit leur milieu. En revanche, les troubles anxieux et dépressifs sont plus fréquents chez les femmes.

La santé mentale est-elle encore un sujet tabou au Luxembourg ?

Il y a une évolution des mentalités, mais certaines idées reçues persistent. Beaucoup de gens considèrent encore la dépression comme une simple faiblesse de caractère et non comme une véritable maladie.

Quels sont les principaux obstacles à une prise en charge efficace ?

Il est difficile de savoir où trouver de l’aide et comment naviguer dans le système de santé, de s’y repérer. De plus, le manque de psychiatres et de pédopsychiatres est criant. Aujourd’hui, obtenir un rendez-vous chez un psychiatre au Luxembourg prend en moyenne 6 mois.

Quels dispositifs existent pour accompagner les patients ?

La Ligue Luxembourgeoise d’Hygiène Mentale propose un réseau de prise en charge comprenant des consultations, un hôpital de jour, ainsi qu’un espace de rencontres et d’activités pour favoriser l’intégration sociale. Un accompagnement à domicile est également assuré, ainsi qu’un dispositif de soutien à l’emploi. Par ailleurs, un guichet unique est en cours de développement afin d’orienter plus facilement les patients vers les structures adaptées. Ce projet devrait voir le jour d’ici un à deux ans.

Le rythme de vie au Luxembourg a-t-il un impact sur la santé mentale des résidents ?

Ce n’est pas propre au Luxembourg, mais le rythme de vie occidental moderne est un facteur de stress important. Ici, les frontaliers, en plus de la pression professionnelle, subissent des trajets longs et fatigants qui affectent leur bien-être mental.

Quelles actions sont entreprises pour promouvoir le bien-être mental, en dehors de la prise en charge médicale ?

La Ligue Luxembourgeoise d’Hygiène Mentale, en collaboration avec le Ministère de la Santé, propose des formations de premiers secours en santé mentale, accessibles au grand public et aux entreprises. Cette formation vise à apprendre à reconnaître les signes de souffrance psychique, à réagir efficacement et orienter vers des ressources adaptées, à l’image des gestes de premiers secours physiques. L’objectif est de mieux identifier et accompagner les personnes en détresse pour éviter que leur situation ne s’aggrave.

Des campagnes de sensibilisation sont également menées sur des sujets comme l’anxiété, la dépression et la schizophrénie. Tous les deux ans, la Semaine de la santé mentale propose des conférences et des actions de prévention pour informer et briser les tabous autour des troubles psychiques.

Quels sont les publics les plus vulnérables face à l’isolement social ?

  • Les jeunes adultes, qui peinent à trouver leurs repères.
  • Les familles monoparentales, majoritairement des femmes, confrontées à une charge mentale et financière importante.
  • Les migrants, qui cumulent les défis d’intégration et d’adaptation culturelle.

L’isolement peut entraîner un cercle vicieux : par exemple, un enfant en difficulté scolaire à cause d’une barrière linguistique peut voir son mal-être s’aggraver, ce qui affecte aussi sa mère, qui se sent impuissante.

Quelle est la première démarche à entreprendre en cas de mal-être ?

Le médecin généraliste doit être le premier point de contact, il peut orienter vers un spécialiste si nécessaire.

Les soins sont-ils pris en charge par la CNS ?

Les consultations psychiatriques et les psychothérapies prescrites sont remboursées. En revanche, les consultations chez les psychologues non-psychothérapeutes ne sont pas prises en charge.

Quels conseils donneriez-vous aux femmes pour prendre soin de leur santé mentale ?

  • Écouter ses émotions et ne pas minimiser son mal-être.
  • Oser demander de l’aide avant que la situation ne devienne trop lourde.
  • Apprendre à dire non et poser ses limites pour éviter l’épuisement.
  • Prendre du temps pour soi régulièrement, se ressourcer, sans culpabiliser.
  • Préserver des relations sociales, car l’isolement aggrave la détresse psychologique.

Quelles avancées espérez-vous voir dans les années à venir ?

J’espère que la maladie mentale sera reconnue comme une maladie comme une autre. Il faudrait aussi plus de psychiatres, de personnel soignant et une organisation plus claire du réseau de soins, afin que chacun sache vers qui se tourner en cas de besoin.

Un message pour conclure ?

Il ne faut pas avoir peur d’en parler, ni de demander de l’aide. Il existe des solutions, et elles ne sont pas toujours celles que l’on imagine. La santé mentale, c’est une question d’équilibre : avec du soutien et des ressources adaptées, on peut toujours avancer et se rétablir.

Interview initialement publiée dans le Femmes Magazine numéro 265 d’avril 2025.