Par Cadfael
Le monde du numérique constitue un espace déréglementé, une sorte de Far West rempli de chercheurs d’or. Les particuliers, comme les PME, sont à la merci des prestataires en ligne. Une règlementation européenne qui vient d’être votée, si elle est correctement transposée et appliquée en droit national, va radicalement changer la donne en faveur des citoyens, généralement démunis face aux pouvoirs exorbitants des grands du numérique.
Le Digital Service Act (DSA)
Le Parlement européen a adopté le 5 juillet dernier deux textes : le « Digital Service Act » (DSA) et le « Digital Markets Act » (DMA).Pour le DSA, il y a eu 539 votes pour et 54 contre avec 30 abstentions. Le DMA a été adopté avec 588 votes pour, 11 votes contre et 31 abstentions. Leur but : rendre l’espace numérique plus sûr par la protection des droits des utilisateurs.
Selon un communiqué de la Commission européenne daté du 5 juillet « les deux textes doivent à présent être formellement adoptés par le Conseil de l’Union européenne. Une fois signées, la législation sur les services numériques et la législation sur les marchés numériques seront toutes deux publiées au Journal officiel. Elles entreront en vigueur vingt jours après leur publication au Journal officiel de l’Union européenne, cet automne. /…/ . À compter de cette date, les entreprises auront un délai de 15 moispour se mettre en conformité avant que les règles soient appliquées. Ainsi, le « Digital Services Act » devrait entrer en vigueur en 2024. » Le Conseil qui réunit les 27 états membres est actuellement présidé par la Tchéquie jusqu’au 31 décembre de cette année.
Avant le vote, en mai dernier, on assistait à un pèlerinage de Parlementaires européens aux États-Unis, la Mecque des nouveaux prophètes comme Bezos, Musk, Zuckerberg et autres. On se souvient du peu d’attention (22 minutes) que Zuckerberg avait accordé en 2018 lors de sa visite à la commission d’enquête du Parlement européen suite au scandale « Cambridge Analytica ». Guy Verhofstadt avait demandé à Zuckerberg s’il voulait que l’on se souvienne de lui comme « le génie qui a créé un monstre ». Face au pourrissement de son image de marque et de nombreux procès, Zuckerberg avait rebaptisé son groupe « Facebook » en « Meta ». En mai dernier, les membres du Parlement européen y ont rencontré les Meta, Google et consorts. Un des commentaires officiels notait : « Leur feed-back était plutôt positif, mais nous verrons à quel point ils se mettront en conformité ou s’ils choisissent la voie des tribunaux le jour où DMA et DSA entreront en vigueur ».
Un nouveau sanctuaire juridique européen ?
Le principe central de cette législation est que « tout ce qui est illégal dans le monde réel doit devenir illégal sur internet. »
Elle représente un élément fondateur dans la volonté l’Union européenne d’une clarification légale du monde numérique. Le nouveau corpus de textes met l’individu au centre des préoccupations et non les multinationales. Il se veut fondé sur le respect des droits fondamentaux et s’insère dans une vision et redonne une place aux droits de l’homme dans un espace numérique où tout est autorisé et où il n’existe que peu de sanctions réelles, à moins d’être un plaignant avec une batterie d’avocats à disposition. Un des crédos des pères du texte est de vouloir protéger la liberté d’expression et en corolaire la liberté d’information. Il muscle le droit à la non-discrimination et sur un plan économique il est également censé renforcer la liberté d’entreprise.
La nouvelle législation régira les obligations des services numériques qui jouent un rôle d’intermédiaire dans la mise en relation des consommateurs avec les biens, les services et les contenus. Le législateur veut la transparence et exigera une traçabilité permettant de repérer les vendeurs sur les places de marché en ligne et ainsi exigera des mesures de transparence pour les plateformes en ligne. Sont visées notamment les places de marché en ligne, quelle que soit leur domiciliation géographique avec un focus particulier sur les très grandes plateformes en ligne, les très grands engins de recherche et surtout les contrôleurs d’accès.
Une structure de contrôle unique
La guerre contre les contenus illicites en ligne, englobant les offres de biens, de services et d’informations, disposera une base solide et s’orientera en fonction de la charte des droits fondamentaux. On disposera d’outils de lutte contre les risques sociétaux en interdisant les algorithmes manipulatifs qui ciblent selon des critères de race, de religion, de sexualité et d’appartenance politique en vue de vendre ou de provoquer des comportements spécifiques. Les plateformes numériques seront forcées de prendre des mesures d’atténuation des risques contrela désinformation ou la manipulation des élections, la cyberviolence à l’égard des femmes ou les préjudices causés aux mineurs en ligne.
Une nouveauté de poids : elles seront contrôlées. Le législateur européen a introduit une surveillance renforcée en mettant en place « une structure de contrôle unique. LaCommission sera le principal régulateur des très grandes plateformes en ligne (comptant au moins 45 millions d’utilisateurs), tandis que les autres plateformes seront placées sous la surveillance des États membres dans lesquels elles sont établies. La Commission disposera de pouvoirs de coercition comparables à ceux dont elle dispose dans le cadre des procédures antitrust. Un mécanisme de coopération à l’échelle de l’UE sera mis en place entre les régulateurs nationaux et la Commission. »
Reste à savoir comment cette législation complexe se trouvera mise en œuvre surtout dans des pays comme le Luxembourg, où les géants du numérique sont parmi les premiers employeurs du pays. Au XIIe siècle Bernard de Clairvaux notait que « l’enfer est plein de bonnes volontés ou désirs ». Gageons que les gourous de Silicon Valley, qui aiment donner des leçons au monde, trouveront maintes échappatoires pour préserver et leurs pouvoirs exorbitants et leurs revenus.