Violences conjugales, féminicides, viol, cyberharcèlement, stalking : les violences faites aux femmes peuvent prendre bien de tristes formes et constituent, selon l’ONU, l’une des violations des droits humains les plus courantes dans le monde. En ce « mois de la femme », il semble pertinent de s’intéresser à la situation de ce douloureux problème au Grand-Duché, alors que les mesures mises en place par le pays ne convainquent pas complètement, au sein de sa population, mais aussi auprès des institutions européennes… 

 

Dans une notion aussi vaste et plurielle que celle des violences faites aux femmes, l’identification de ces dernières est probablement un premier point primordial. Comment les reconnaitre et les répertorier ? Au Luxembourg, une enquête a été réalisée par la chercheuse Clarissa Dahmen et publiée par l’Institut national de la statistique et des études économiques du Grand-Duché de Luxembourg (STATEC) en 2022 et nous donne des éléments de classification. Elle y distingue quatre « grands » types de violences faites aux femmes et une trentaine d’exemples concrets. On retrouve ainsi tout d’abord la violence physique, qui inclut les actes malheureusement très limpides, mais aussi le faire d’exposer quelqu’un à des substances toxiques ; la violence psychologique – insultes, intimidations, humiliations, chantage ou encore paranoïa excessive ; la violence sexuelle et ses tentatives faisant fi du consentement ainsi que la violence économique conjugale privant d’indépendance et/ou de choix. 

Chiffres et conséquences 

Les chiffres nationaux les plus récents ont été publiés par le même Statec en décembre à l’occasion de l’Orange Week, une campagne de l’ONU qui avait été menée du 25 novembre 2022 (journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des filles et des femmes) au 10 décembre 2022 (journée internationale des droits humains). Cette publication mentionnait alors que 20 % des femmes âgées de 16 à 74 ans avaient alors déjà été victimes de violence physique, sexuelle, économique ou psychologique lors des 12 mois précédant l’enquête – un chiffre qui grimpe à « deux tiers » sur l’échelle de la vie. « Que ce soit au travail, dans l’espace public ou la sphère privée, rien que pendant les 12 derniers mois précédant l’enquête, environ 15 % des femmes ont subi des violences psychologiques et 7 % des violences physiques et/ou sexuelles », peut-on y lire, plaçant ainsi le Luxembourg « juste en dessous de la moyenne européenne »…

L’enquête met également en avant les gros manques de suivis : en effet, moins de 15 % des victimes auraient ensuite été en contact avec un médecin ou un psychologue (de 9 à 14 % en fonction du type de violence) ou avec les forces de police (4 % pour les violences psychologiques, 10 % pour les physiques, 12 % pour les sexuelles). C’est encore plus notoire lorsqu’on considère les services d’aide aux victimes avec respectivement 1 %, 2 % et 0 % dans le même ordre…  Mais pourquoi ? Là aussi, des éléments de réponse sont avancés par le Statec : si seulement 9 % des victimes déclaraient « ne pas savoir qui contacter », près de 20 % pensaient que « cela n’aurait servi à rien » tandis qu’un toujours surprenant 36 % estimaient que « ce n’était pas assez grave »… On voit donc ici que la diminution de la gravité de la violence et de son impact par la victime même compose le facteur le plus important l’empêchant de chercher de l’aide, mais que le manque d’information combiné à une impression de non-écoute arrive tout juste derrière. La honte et la peur assumées, quant à elles, ne représentent « que » 5 % des avis émis. 

Sentiment d’insécurité et contremesures

L’expérience de la violence va évidemment de pair avec un impact psychologique et un sentiment d’insécurité : 41 % des femmes victimes déclaraient dans l’étude du Statec être plutôt inquiètes ou très inquiètes d’être attaquées par un inconnu, contre 27 % des femmes n’ayant pas subi de violence. Cette perception subjective découlant de la victimation est donc une question sociale qui a un impact direct sur la qualité de vie des victimes et leurs relations à l’autre. La question « que font les autorités ? » arrive de facto assez facilement lorsqu’on prend tout cela en considération… 

Transmis par l’Administration judiciaire, le rapport au Gouvernement du Comité de coopération entre les professionnels dans le domaine de la lutte contre la violence, datant de 2022, tente de répondre à cette interrogation. Dans ses chiffres clés, on y découvre que les services de police ont procédé à 983 interventions policières (soit une augmentation de 7,2 % par rapport à 2021) et à 246 expulsions, correspondant à 81,9 interventions policières pour violence domestique et à 20,5 expulsions par mois. Le Parquet, auprès des deux Tribunaux d’arrondissement de Luxembourg et de Diekirch avait, lui, été saisi de 1489 dossiers de violence domestique. Le SAVVD (Service d’assistance aux victimes de violence domestique) avait, de son côté, effectué un total de 300 consultations et 3292 appels téléphoniques pour assister les victimes dans le cadre des 246 dossiers d’expulsion communiqués au service sur base de la loi modifiée sur la violence domestique de 2003. Le service RIICHT ERAUS enfin (Service prenant en charge les auteurs de violence domestique) avait traité 461 dossiers pour lesquels 90 % des auteurs expulsés étaient de sexe masculin et 10 % de sexe féminin. 

On peut aussi y lire les mots de convictions exprimés par la ministre de l’Égalité entre les femmes et les hommes d’alors, Taina Bofferding : « La violence fait mal ! Toute personne qui subit de la violence, qui a recours à la violence ou qui en est témoin, peut contribuer à briser le cycle de la violence. Un slogan qui peut paraitre banal et simpliste, mais, j’en suis toutefois convaincue, qui garde depuis 20 ans toute sa pertinence. Il doit nous servir de ligne directrice dans nos efforts dans la prévention et la lutte contre la violence domestique… ». Mais malgré ces chiffres et cette motivation, le traitement par le Grand-Duché des violences faites aux femmes ne semble pas satisfaire… 

Recadrage européen 

Car oui, le Luxembourg ne fait pas partie des meilleurs élèves de la classe selon le Groupe d’experts du Conseil de l’Europe sur l’action contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (GREVIO) dans son rapport d’évaluation de référence sur le Luxembourg, publié en juillet dernier… 

Certes, le GREVIO y salue un certain nombre de mesures positives, juridiques et politiques, qui « attestent de la détermination des autorités du Luxembourg à prévenir et à lutter contre la violence domestique et à promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes » ; des développements positifs qui incluent par exemple des mesures permettant l’expulsion des auteurs de violence domestique du domicile, l’établissement d’un solide réseau de services de soutien spécialisé pour les victimes et les amendements apportés à la législation afin de mieux se conformer à la Convention d’Istanbul – le « petit nom » de la Convention du Conseil de l’Europe en la matière, qui exige des pays signataires qu’ils élaborent des lois, des politiques et des services de soutien pour mettre fin à la violence à l’égard des femmes et à la violence domestique.

Mais malgré ces avancées, le GREVIO y constate toutefois l’existence d’un certain nombre de domaines dans lesquels des améliorations sont nécessaires. Il souligne en particulier « la prise en compte insuffisante de la dimension de genre dans les politiques et mesures de lutte contre la violence et la violence domestique » et la « nécessité de développer des politiques et mesures de soutien aux femmes victimes d’autres formes de violence fondée sur le genre que la violence domestique, d’établir une ligne d’écoute spécialisée accessible 24 h sur 24 et 7 jours sur 7, ainsi que des services spécialisés à l’attention des femmes victimes de violences sexuelles ». Dans un droit de réponse à ce rapport, le Luxembourg a réaffirmé qu’il disposait « depuis plus de vingt ans d’un mécanisme proactif et évolutif de prévention et de lutte contre la violence domestique, couvrant femmes et hommes, filles et garçons, efficace, professionnel et adapté à ses caractéristiques et à ses besoins », tout en reconnaissant que ce dispositif « peut être optimisé » pour s’approcher encore plus des recommandations de la Convention d’Istanbul. Dans le viseur du GREVIO, notamment, la collecte de données administratives insatisfaisante, malgré une ratification de la Convention en 2018.

Ainsi, même si certaines des réponses plus précises de l’État luxembourgeois à ce sujet redirigent vers les chiffres publiés par l’Observatoire de l’Égalité, une dernière question se pose : cette structure a-t-elle été dotée d’assez de moyens depuis sa création en 2019 pour remplir sa fonction correctement et correspondre aux exigences de Bruxelles en matière de traitement des violences faites aux femmes ?  

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