Parmi toutes les annonces faites par nos responsables politiques, la plus importante de ces derniers jours était sans conteste celle de Xavier Bettel. Lors de sa conférence de presse du 3 avril, le premier Ministre évoquait son opposition à l’utilisation d’un contrôle des populations et de la pandémie à travers les moyens qu’offrent les applications apparentes et non apparentes des téléphones mobiles.

« En ce qui concerne le tracking par une app, il n’y a actuellement pas de base légale au Luxembourg pour le faire de manière systématique et obligatoire » souligna-t-il en précisant qu’il n’est pas un grand sympathisant de ces méthodes. Cependant il n’a pas exclu que ce point soit mis à l’ordre du jour par le gouvernement au cas où, les médecins conseilleraient cette démarche.

L’émergence d’un outil de gestion européen

Un projet européen initié par 130 scientifiques et informaticiens de haut niveau issus d’universités

et du privé, originaires de huit pays européens, porte le sigle barbare de PEPP-PT (Pan European Privacy Preserving Proximity Tracking). Sous le leadership de l’université de Linz et de l’institut Fraunhofer de Berlin, les promoteurs du projet ont annoncé la semaine dernière la création d’une organisation à but non lucratif qui mettra la nouvelle technologie gratuitement à disposition des pays qui le demandent. Dans leur manifeste on peut lire que le PEPP-PT a été créé spécialement pour défendre et adhérer aux principes des lois européennes sur la protection des données et de la vie privée.

Que de bonnes intentions ?

L’allemand Hans Christian Boos, fondateur il y vingt ans d’Arago, société active dans l’intelligence artificielle, membre du Conseil Digital Fédéral défend le projet en faisant remarquer que l’approche européenne ne peut pas être pratiquée sur les mêmes bases qu’elle l’est en Chine car cela signifierait la fin des libertés individuelles et à terme de notre conception de la démocratie.

À en juger par la littérature disponible, ce projet européen veut créer une sorte d’écosphère numérique interconnectant un ensemble d’applications existantes, serveurs, sources codes et échanges de données internationales afin de faciliter aux développeurs nationaux la conception d’applications à mettre en place dans le cadre des politiques sanitaires nationales. PEPP-PT en tant qu’organisation mettra à disposition des serveurs et protégera les applications afin qu’on ne puisse y introduire des fonctions cachées et malsaines. D’après une information du site Spiegel datée du 8 avril l’application serait opérationnelle dans une dizaine de jours après avoir été testée par des soldats de la Bundeswehr.

Autres pays, autres modèles

La Chine, Singapour, la Corée de Sud ont sacrifié le principe du respect absolu de la vie privée sur l’autel de la crise sanitaire. On pouvait lire dans la presse internationale qu’une société israélienne ayant développé une technologie pouvant être utile dans le même cadre était en négociation avec divers gouvernements non spécifiés.

En Corée du Sud, selon le New York Times du 23 mars 2020, le gouvernement a accès et stocke les données des cartes de crédit, des caméras de surveillance, et de localisation des smartphones dans le cadre de sa politique de gestion de malades atteints du coronavirus. Depuis janvier, le gouvernement publie les données des malades sur un site et les réactions ne se sont pas fait attendre : une partie de la population commence à faire la chasse aux malades. En Lombardie les autorités utilisent les données des smartphones pour surveiller le respect du confinement. Selon elles 40% des citoyens bougeraient de trop. En Israël les autorités utilisent un cache dans les téléphones mobiles servant en temps normal à des opérations de contreterrorisme pour localiser les habitants qui peuvent avoir été touchés par le virus.

En Chine, le gouvernement somme les citoyens d’utiliser une application qui les classe en fonction de codes couleur distribués selon les risques de contagion. À Singapour, le ministère de la santé publie les données des malades avec une somme de détails indiscrets. Il a installé une application au nom poétique « Tracetogether » qui sert à les tracer sous prétexte d’éviter tout contact.

Aux États-Unis Donald Trump et la Maison Blanche cherchent à obtenir les données de Google, Facebook et autres médias sociaux afin de les agréger et pouvoir ainsi contrôler les mouvements dits de santé publique. Les défenseurs de droits civiques craignent une utilisation dans le cadre de la chasse aux immigrants clandestins.

Au Luxembourg, une solide tradition du respect de la liberté individuelle

Pour l’instant notre gouvernement refuse l’utilisation d’instruments de contrôle alliant siphonage des données issues des téléphones mobiles et leur traitement par des applications d’intelligence artificielle. Le difficile équilibre entre santé publique et libertés individuelles est encore vivant dans notre démocratie.

Xavier Bettel n’a certainement pas oublié les leçons de l’histoire récente de notre pays à savoir, en 1937, l’échec du projet de loi muselière (Maulkorbgesetz) proposé par le gouvernement chrétien social Bech, ainsi que d’une tentative analogue en 2003, dite la « lex Greenpeace», initiée par Luc Frieden en 2003, alors membre du gouvernement chrétien social de l’époque. L’enfer est pavé de bonnes intentions et au vu des chemins que prennent certaines démocraties européennes en temps de crise, ne vaut-il pas mieux ne pas ouvrir la boite de pandore ?

 

Texte : Cadfael