Un monument de la presse mondiale vient de quasi disparaître. National Geographic Magazine, après 135 ans d’existence, vient de licencier ses derniers reporters permanents. Les valeurs du profit rapide et d’une culture de la consommation immédiate ont une fois de plus démontré leur potentiel destructeur.

Par Cadfael

Le Cosmos Club

National Geographic Society (NGS) est née en 1888 au Cosmos Club, un club élitaire de Washington réservé aux grands voyageurs et explorateurs. Le Cosmos compte aujourd’hui parmi ses membres des anciens présidents des États-Unis, 36 prix Nobel, 61 prix Pulitzer, des juges à la Cour suprême, des militaires, des artistes et écrivains… Jusqu’en 1962 le club sera réservé uniquement aux hommes blancs. Il faudra en 1962 les protestations de célébrités telles que John K. Galbraith ou John F. Kennedy pour qu’en 1963 ils admettent le premier noir, l’historien John Hope Franklin. En 1988 le Cosmos ouvrira également ses portes aux femmes.

La National Geographic Society et son magazine

Le magazine de la NGS a également été créé en 1888 par 33 patrons et sommités du monde académique, économique et industriel se voulant l’élite du monde américain de l’époque. La ligne éditoriale, en phase avec la philosophie du Cosmos, était de faire progresser et de divulguer les connaissances scientifiques les plus récentes concernant la géographie, l’archéologie, les sciences naturelles, l’histoire dans un mélange d’académisme et de vulgarisation esthétique de haut niveau.

Ainsi en 1905 la NGS financera l’expédition de Peary au pôle Nord ou la découverte de Machu Picchu en 1911. Transformée en ASBL, elle finançait jusqu’à récemment des projets de recherche ou d’archéologie à long terme, ses reporters photographes se recrutant parmi les meilleurs. Ils s’immergeaient des mois sur le terrain afin de ramener ce qu’il y avait de mieux, de plus spectaculaire. NGS Magazine symbolisait une forme de supériorité culturelle d’une l’Amérique blanche anglo-saxonne et protestante. Aujourd’hui encore le montant moyen d’une bourse NGS est de l’ordre des 65.000 dollars.

Devenu rapidement une référence pour ses contenus et ses photoreportages, le magazine atteindra plus de 12 millions d’abonnements et 100 millions d’abonnés sur Instagram en 2019 avec des éditions dans une quarantaine de langues. A cela se rajoute l’organisation de voyages, des stations de TV et de production de films. Le revenu annuel était estimé à 500 millions de dollars en 2022 avec un ratio de revenu par employé de 332.800 dollars. Cette belle proie glissera en 2015 par un jeu d’acquisitions de parts et d’accords entre actionnaires sous la coupe de la 21th Century Fox pour 73% de ses parts.

Fox était à l’époque le 4e plus gros conglomérat de divertissement au monde détenu pour 39% par la famille Murdoch. Le contenu de NGS magazine baissera en qualité et on notera une fuite de lectorat importante. La Fox sera vendue pour plus de 71 milliards de dollars à la nébuleuse Disney, y compris NGS qui deviendra une arme de plus dans la compétition féroce de Disney contre le grand concurrent Netflix. Fox News par contre, la station d’information à la réputation détestable, restera dans le giron de Murdoch.

L’ancienne NGS n’est pas morte ?

Dans ce qui demeure de l’ancienne fondation finançant des projets de recherche à long terme, il resterait encore quelques projets en voie de terminaison. Avec Disney une philosophie du Mickey Mouse ludique apte à capter des clients et du revenu régnera. La nouvelle politique va vers des projets numériques multiculturels sur une plateforme éditoriale utilisant des pigistes. Symbole d’un appauvrissement intellectuel attristant, la culture de NGS se retrouvera au milieu des Spiderman, Hulk et autres Captain America abrutissants.