Directrice du Centre national de littérature à Mersch, Nathalie Jacoby, fille unique de l’écrivain luxembourgeois Lex Jacoby, navigue depuis toute petite dans l’univers des mots. Elle a étudié en Allemagne, travaillé à Londres, cultive la passion du théâtre d’impro et modère, avec la même passion, les rencontres littéraires. Lumineuse et joyeuse, elle se raconte, évoque les amis d’Afrique du Sud, la belle-famille à Chicago. Sa philosophie de vie ? « Rêver de quelque chose qu’on peut atteindre ».
Par Karine Sitarz
Photographie : Miikka Heinonen
Vous êtes depuis 2020 à la tête du CNL, mais on vous connaît peu…
Peut-être parce que j’ai passé 20 ans à l’étranger. Je suis partie à 18 ans pour mes études et ne suis revenue au pays que fin 2009 pour mes parents déjà âgés. J’ai repris des études pour être prof d’allemand et ai enseigné à Echternach puis à Mersch. C’est un travail que j’ai adoré et un milieu où j’ai beaucoup appris. À partir de 2015, j’ai enseigné à mi-temps et travaillé à mi-temps au CNL où, aujourd’hui, c’est pour moi un nouveau départ (ndlr : elle pilote une équipe de 25 personnes).
Quelle jeune fille étiez-vous ? Aviez-vous déjà l’amour des livres ?
J’ai toujours eu l’amour des livres, mon père était écrivain et mes parents lisaient beaucoup. Il y avait partout des livres autour de nous, même à la plage. J’ai passé une enfance belle et heureuse à Clervaux où nous habitions dans une maison incroyable avec un parc où les enfants venaient jouer, la villa Prüm qui existe toujours.
Qu’est-ce qui a motivé vos études ?
Comme toutes les petites filles, je voulais devenir ce que je connaissais, donc institutrice parce que j’aimais bien la mienne, puis prof. Mais une fois à l’université, je ne pensais plus qu’à partir vivre ailleurs. Pendant mes études en littératures allemande et anglaise à Fribourg-en-Brisgau, où je suis restée 10 ans, j’ai eu un trimestre d’échange avec l’University College de Londres. Je suis tombée amoureuse de cette ville et, plus tard, y ai vécu presque 10 ans, travaillant pour une société produisant des audioguides pour des musées et des sites historiques.
En quoi consistait ce travail ?
J’ai d’abord relu des traductions puis suis devenue productrice, rédactrice et enfin rédactrice en chef pour l’Europe, l’Afrique et le Moyen-Orient. On travaillait avec des passionnés, auteurs, acteurs, historiens, curateurs… On s’occupait du volet narratif, nous choisissions la musique, les voix. J’ai beaucoup écrit pour des visites guidées, mais écrire pour l’audio, c’est spécial, on doit surtout valoriser l’espace. C’est un peu comme monter des petites pièces de théâtre. Au CNL, j’ai retrouvé une ambiance semblable avec des personnes qui adorent ce qu’elles font, l’atmosphère y est chaleureuse, enthousiaste et studieuse.
Vous qui rêviez d’ailleurs, vous êtes aussi passée par l’Afrique du Sud ?
À 26 ans, pendant mon doctorat, j’ai enseigné un an à l’Université de KwaZulu-Natal, près de Durban sur la côte est en remplacement d’un prof en année sabbatique. J’enseignais la langue, la littérature et la civilisation allemandes. J’ai passé un moment formidable même si à l’époque je n’étais pas très bonne prof (rires), prenant les choses trop à la lettre ! Plus tard, j’ai compris qu’il y avait d’autres façons de penser, de transmettre, d’enseigner.
Vous avez écrit sur la littérature contemporaine du pays, quel regard portez-vous sur elle ?
Je travaille surtout sur la littérature germanophone luxembourgeoise des XXe et XXIe siècles, mais le multilinguisme du Luxembourg est quelque chose de formidable et d’important. La littérature du pays se porte très bien. On vit un moment où plein de choses se font : il y a des éditions et des auteurs formidables, des prix, Kultur:LX se développe et, comme l’a rappelé Guy Helminger lors de la remise du Prix Servais, nous avons un ministère et une ministre qui soutiennent vraiment l’effort littéraire. Avec l’université, on a aussi désormais un partenaire pour la recherche démarrée avec Germaine Goetzinger et Claude Conter.
Quels sont vos grands chantiers ? Y a-t-il un projet qui vous tient plus à cœur ?
Il y a l’expo en cours sur les 30 ans du prix Servais et le livre des 30 discours des 30 lauréats. Pour ma première expo, organisée avec Ludivine Jehin comme commissaire, je me suis fait plaisir, j’y ai réuni un peu de toutes les choses réalisées dans ma vie et, comme je viens du monde de l’audio, j’ai aussi souhaité montrer le livre d’une autre manière. Quant à mes grands chantiers, ils sont surtout administratifs.
D’autres projets du CNL ?
Plusieurs sorties de livres, un ouvrage sur les relations culturelles et littéraires du Luxembourg et des Pays-Bas et, dans une série qui me tient à cœur, un nouveau discours sur la littérature par Tom Reisen. On a aussi lancé en ce début d’année une série sur la danse. Il y aura encore l’édition des « Trouvailles-Fundstücke », gros pavé avec tous nos articles publiés, des lectures et des modérations, notamment aux Walfer Bicherdeeg (ndlr : 19 et 20 novembre). Leur thème, « Des nouvelles pousses aux racines profondes », tellement important et très poétique, permet aussi d’évoquer la littérature jeunesse.
Avez-vous une passion ?
Oui, depuis 30 ans, le théâtre d’improvisation. Un mot, un lieu, une émotion… on joue comme devant un miroir où tout se reflète. À l’université, cela m’a permis de financer en partie mes études. Plus tard, à Londres j’ai beaucoup joué avec de petites troupes. Et au Luxembourg, avec Rhona Richards on proposait en duo un show en anglais, « The Virginia Monologues ». On jouait le soir où le Brexit a été annoncé, cela a été une soirée des plus explosives !