Les chefs d’État du Moyen-Orient ont su recevoir le maître de la démocrature américaine avec tous les honneurs : pompes, danses et révérences — ce qu’il adore. Ce voyage a également titillé une opposition démocrate qui semble retrouver une combativité à la hauteur des enjeux.
Par Cadfael
Charité bien ordonnée…
Le 15 mai, le leader démocrate du Sénat, Chuck Schumer, posait la question de savoir pourquoi ce voyage de Trump au Moyen-Orient ressemblait plus à un voyage d’affaires personnel qu’à une visite d’État présidentielle. Il a souligné que la nouvelle procureure générale de Trump, Pam Bondi, avait travaillé comme lobbyiste déclarée pour le Qatar, faisant écho au discours acerbe du sénateur Murphy, un avocat de 51 ans représentant du Connecticut, relayé par la chaîne libérale MSNBC. Il a décortiqué ce qu’il nomme « une tournée publique de corruption », où Trump fait croire, selon Murphy, « pouvoir duper le peuple américain avec l’argument que ce n’est pas de la corruption puisque ce n’est pas caché. »
Son premier voyage en Arabie saoudite, au Qatar et aux Émirats arabes unis s’est fait non pas parce que ce sont des alliés importants, ni afin de rendre le Moyen-Orient plus sûr. Ce sont les pays qui ont accepté de donner de l’argent à Donald Trump. Au Qatar, par exemple, c’est un avion luxueux de 400 millions de dollars, configuré pour les voyages royaux. Ce n’est pas un cadeau au gouvernement américain, c’est un cadeau personnel pour le président.
Et ce n’est pas tout. La « Trump Organization » (dirigée par son fils Eric) a signé un contrat pour un golf et une opération immobilière valant 5,5 milliards de dollars avec la firme saoudienne « Dar Global » et « Qatari Diar », société du fonds souverain du Qatar.
Golf et crypto-monnaies
« Lors des trois premières semaines de son mandat, le président a organisé une entrevue à la Maison-Blanche avec les dirigeants du Saudi Sovereign Health Fund, en vue d’amener le championnat de golf PGA (Professional Golfers Association), le seul réservé aux professionnels, vers les golfs appartenant à Trump. En prime, il y aura l’investissement d’une Trump Tower à Dubaï pour un milliard de dollars. » Ce que Murphy qualifie d’incroyable, c’est que « sur le site web de ce projet monté en commun avec un fonds d’investissement saoudien, on trouve une offre de trois visas américains d’une durée de dix ans, accessibles à des investisseurs à qui l’on ouvre ainsi la voie vers une naturalisation. »
« Pour les Émirats arabes unis, la facture se situe quelque part au-dessus de 2 milliards », selon Murphy. « MGX », un fonds d’investissement du gouvernement émirati, confirmait qu’il avait engagé des partenariats ouverts vers toutes sortes de crypto-monnaies via un engagement d’investir 2 milliards dans la plateforme d’échange « Binance » (la plus importante plateforme de négoce en la matière, créée en 2017 par un informaticien chinois à double nationalité canadienne et émiratie). Comme le hasard le veut, « Binance » a choisi comme partenaire la société de crypto-monnaie dirigée par le fils de Trump, qui est en même temps l’envoyé spécial du président au Moyen-Orient. »
On notera que la presse américaine pointe du doigt le mélange des genres entre Trump père et fils, qui auraient engrangé des centaines de millions de bénéfices via les manœuvres de leur société de crypto-monnaies « Worldliberty ». Dans ce contexte, l’échange au Congrès sur l’avion-cadeau risque d’être houleux.
Money First
L’argent n’a pas d’odeur, c’est bien connu, surtout si l’affairisme doit détruire des biens culturels ou remettre en cause des équilibres ethniques fragiles — ce qui risque d’être le cas avec les projets de l’envoyé spécial de Trump pour le Moyen-Orient. Il chasse aussi en Serbie où, à Belgrade, un site classé « bien culturel » lui a tapé dans l’œil. Il projette d’y détruire une architecture emblématique du brutalisme socialiste, considérée comme « la composition architecturale la plus significative de l’ex-Yougoslavie ». Grâce à des documents falsifiés afin de déclasser le site, il compte y couler pour 500 millions de béton de luxe. Des procédures judiciaires sont ouvertes. Elles risquent d’éclabousser le président de la République serbe dans un climat ethnique tendu.
Les États-Unis seraient-ils en décrochage ?
Certains experts, au vu de la lente déliquescence des règles de la démocratie américaine au profit d’un clan, décèleraient des signes de décrochage industriel et technologique d’une nation qui se veut leader mondial. La croissance de la dette américaine, qui s’élève à 37 trillions de dollars, risque d’augmenter plus rapidement encore sous l’effet du dernier projet de budget de Trump.
Le « grand et merveilleux budget », un pavé de 1 000 pages que Trump veut faire voter, dépasserait probablement les 3 trillions de déficit annuels. Résultat : sur le site de Bloomberg du 17 mai, on apprenait que l’agence de notation Moody’s venait d’abaisser la note de crédit des États-Unis de AAA, la note maximale, à AA1, suivant ainsi Fitch et Standard & Poor’s.
La saga d’un clan à la rapacité tentaculaire, entraînant bien plus qu’une seule nation dans une spirale infernale, n’est pas terminée.
Et l’Europe dans tout cela ? La réflexion de Jean Monnet aurait-elle dit juste : « L’Europe se fera dans les crises, et elle sera la somme des solutions apportées à ces crises » ? Il ne reste plus qu’à attendre pour voir.