Marie Lucas à la tête de l’agence M3 architectes est depuis l’an dernier Présidente du Luxembourg Center for Architecture (LUCA). Éprise de culture, férue de voyages, cette femme dynamique et joviale raconte une bribe de son histoire, partage ses idées, ses réflexions, ses coups de cœur. Rencontre début septembre dans un espace emblématique de la capitale qu’elle a elle-même revisité, le café-restaurant L’Hêtre beim musée dont la terrasse borde le Lëtzebuerg City Museum.
Par Karine Sitarz
Née en Belgique, vous êtes arrivée jeune au Luxembourg.
Oui, à 6 ans. J’ai été scolarisée à l’École européenne, ce qui n’aide pas vraiment à devenir Luxembourgeoise, mais j’ai eu la chance de faire beaucoup de musique, du piano, et au Conservatoire j’ai appris le luxembourgeois. Plus tard, en choisissant la Belgique pour mes études d’architecture, je pensais renouer avec une nationalité, mais j’ai vite compris que chacun a sa propre histoire et que c’était bien d’avoir bougé.
Qu’est-ce qui vous a poussée vers l’architecture ?
J’ai eu dès l’enfance le goût des formes et des matériaux et les ai identifiés comme source inépuisable de jeux. J’aimais combiner les espaces, composer, mais aussi toucher, sentir, je me souviens du grain et de la température des murs de chez mes grands-parents… Je suis arrivée en 1978 à Liège, pas loin de Maastricht où l’architecture en vogue était post-moderne. La Belgique, elle, faisait bon usage des bons matériaux au bon endroit. Depuis toujours, on y fait appel à l’architecte, alors qu’au Luxembourg, quand j’ai commencé, il y avait encore à convaincre de la valeur ajoutée par un professionnel.
Vous êtes revenue au Luxembourg…
En 1984, après mes études. Il n’y avait pas de travail en Belgique, encore moins pour quelqu’un qui n’y avait pas vécu. La première chose que j’ai faite est un concours inattendu avec Fränz Valentiny pour le Château Collart à Bettembourg. J’ai aussi travaillé chez Paul Bretz puis suis entrée chez Christian Bauer. Il avait vu une toute petite chose de moi, une extension de maison, j’y avais mis toute mon âme. Chez lui, j’ai vraiment appris à dessiner, à comprendre les modes de construction… Mais le passage entre ce qui vous passionne et la réalité, l’inertie ou la bêtise parfois, a été difficile à gérer. D’autant que le monde de l’architecture était alors très condescendant, sinon méprisant envers les femmes !
Après 40 ans en terre d’architecture, qu’est-ce qui vous fait encore courir ?
Être avec les équipes, « en solution », relancer leurs projets, leur éviter une ornière. Hier, on s’est dit : « Ah là, ça commence à percoler », l’expression d’un client pour ce moment où on entend monter le petit glouglou dans la machine à expresso : les choses se mettent en place, l’image se stabilise, il y a un arrêt sur image. C’est important de fédérer sans perdre le fil de la réflexion et des idées.
Aujourd’hui, vous êtes dans la transmission…
C’est le plus grand des plaisirs, moins grand celui d’être celle qui a le plus de souvenirs et d’expérience pour ficeler un contrat (rires). M3 architectes est née en 1997, je l’ai créée avec Jos Dell et Michel Petit. Aujourd’hui, il y a d’autres associés, Jürgen Simon, Carlos Esteves Duarte et Chantal Baumann, enfin une femme ! Au total, nous sommes une soixantaine, des gens pleins d’énergie avec des profils très différents, celui du petit cow-boy solitaire de mes débuts a disparu. Ce n’est plus une condition de savoir tout faire. Il faut être ouvert, respecter le métier de l’autre et aussi travailler avec les ingénieurs, chose la plus difficile.
Y a-t-il un projet qui reste plus particulièrement gravé en vous ?
La construction du Sofitel Kirchberg, avec Christian Bauer, a été un moment particulier. On a fini le cahier des charges quand j’étais enceinte de mes jumeaux, il y a 32 ans. A la maternité, j’ai reçu un coup de fil et là j’ai su que je ne laisserais pas cet autre bébé seul, cet hôtel je m’en sentais responsable. Il m’a d’ailleurs permis deux autres réalisations sur le même terrain, le Novotel Suites puis le Mama Shelter, le maître d’ouvrage est en effet revenu deux fois vers moi, un cadeau !
En 2022, vous avez été nommée Présidente du LUCA…
J’étais au Conseil de l’Ordre des Architectes quand on a créé la Fondarch pour pouvoir travailler sur des thématiques plus sélectives et accéder à des budgets culturels. Les jeunes sont persuadés que le nom de « fondation » fait riche, alors qu’on a besoin de contributions, elle a donc changé de nom. Le LUCA ne concerne pas seulement l’architecture et l’ingénierie, mais tout ce qui enrichit la réflexion sur le développement durable. Je suis très contente de cette mission, elle est arrivée à un moment un peu chahuté, juste après le Covid, mais depuis elle s’est réalignée sur ses vrais objectifs.
La culture semble occuper une grande place dans votre vie ?
Mon papa, philologue, m’a appris à aimer l’écriture et la lecture et à me construire une bibliothèque très personnelle. Il avait interdit la télé à la maison jusqu’à la Coupe du monde de 78 où il a fini par craquer à cause de mon petit frère (rires). Il jouait aussi de l’orgue et le chant d’opéra, c’était le quiz du dimanche. Devenus pianistes ou violonistes amateurs, mon frère, ma sœur et moi l’étions avec modestie. Plus tard, la peinture et la photographie ont pris plus de place.
Quel architecte vous inspire ?
A mi-parcours, j’ai pris une grosse claque en découvrant le minimalisme et le travail de gens comme Claudio Silvestrin ou John Pawson. Plus récemment, Annabelle Selldorf, que j’ai découverte au hasard d’un voyage aux États-Unis, m’a impressionnée par sa force sereine.