C’est au Musée des Arts Décoratifs que la maison Dior a dévoilé les silhouettes qui composeront sa collection automne-hiver 2018-2019. Le mythique tailleur Bar, pièce iconique, y occupe une place prépondérante et donne le ton de cette collection hautement couture, profondément élégante et résolument moderne.
Est-il possible de célébrer la haute couture tout en faisant une lecture critique de celle-ci ? Est-il possible d’être dèle aux règles strictes édictées par la Chambre syndicale de la haute couture** tout en les décomposant pour créer un ordre nouveau ?
Ce sont ces interrogations que Maria Grazia Chiuri a soulevées pour cette collection haute couture automne-hiver 2018-2019, à l’issue de l’exposition Christian Dior, couturier du rêve, qui a mis en lumière, au musée des Arts décoratifs, les créations de la haute couture en rendant hommage à ce lieu sacré et intemporel : l’atelier.
Les ateliers sont des temples, gardiens de la pensée. C’est au cœur de cette mémoire de la couture – cette série d’images, de formes, de couleurs et d’attitudes – que se déploie la vision créative de Maria Grazia Chiuri. La couture est une instance de l’avant-garde, une forme d’art qui se développe grâce à l’imagination. Une ré exion qui cultive l’audace de répéter des gestes codi és tout en cherchant à les enfreindre. Car la couture est aujourd’hui, avant tout, un geste conceptuel. A l’image d’un ready-made de Marcel Duchamp.
Ce sont parfois des tissus qui guident le projet, qui sont travaillés dans d’anciennes manufactures qui ne peuvent produire que quelques mètres à la fois et auxquelles on a demandé d’introduire un élément inhabituel ou un nouveau savoir-faire ; chaque matière pouvant subir des modi cations qui accentuent ses effets de manière inattendue. D’autres fois, l’idée première vient de la volonté de reconstruire le rituel et la façon de s’habiller au gré des occasions qui rythment une journée. La haute couture, c’est la possibilité de porter une qualité unique, d’adapter l’œuvre parfaite à son propre corps. Maria Grazia Chiuri revient aux fondamentaux et imagine des tailleurs dans lesquels les manches de la veste Bar deviennent des ailes de chauve-souris. La véritable transgression étant de se référer aux règles d’usage tout en détournant leur syntaxe.
La palette des couleurs poudrées (brique, vert, rose ou orange), en dialogue avec le Nude, colore les vêtements, mais aussi les accessoires – bijoux fantaisie raf nés, voilettes et chapeaux – telle une continuité complémentaire du corps que la couture met à l’honneur. Les robes du soir, éblouissantes par leurs différents plissés, ou par leurs jeux de superpositions, contrastent avec des bustiers simples qui offrent une dissonance surprenante. La forme sculpturale d’une robe de soie rouge cousue d’une seule pièce ouvre la voie à une série de créations majestueuses et intimes, à la fois retenues et explosives : la couture devient alors un lieu psychologique de résistance féminine.
Alison Bancroft assimile, dans un sens lacanien, la couture au mode d’expression des avant-gardes : réappro- priation de pratiques séculaires rejetées par le désir de nouveauté et réinterprétation des traditions par des valeurs contemporaines. C’est par cette rencontre entre un système de règles établies et la créativité la plus libre que, pour Maria Grazia Chiuri, la couture devient rébellion : une sorte de « guérilla » idéologique qui explose aux frontières d’une tradition ancrée, sans jamais les outrepasser.