Moins de cinquante femmes sont incarcérées dans les prisons luxembourgeoises. Paradoxalement, ce faible nombre de détenues entraîne des conditions d’incarcération parfois plus difficiles que pour les hommes. Un rapport de la Médiatrice a mis en évidence les problèmes auxquelles elles font face derrière les barreaux. Une association tente d’améliorer leur sort.

Texte : Fabien Grasser

La prison est un monde d’hommes. Pour les femmes, les discriminations vécues à l’extérieur y sont accentuées. Au Luxembourg, ce constat se vérifie de façon parfois plus criante qu’ailleurs. « Il ne s’agit pas d’une discrimination systémique et volontaire », reconnaît d’emblée Christian Richartz, président de « Eran, eraus… ans elo », une asbl qui oeuvre à l’amélioration des conditions des femmes et des hommes détenus ainsi qu’à leur réinsertion. « C’est un problème de masse critique, il y a moins de 50 femmes incarcérées », précise-t-il.

En 2019, 642 personnes étaient détenues dans les centres pénitentiaires de Schrassig et Givenich, selon le dernier rapport d’activité disponible de l’Administration pénitentiaire. Trente-deux étaient des femmes, soit 5% de la population carcérale, un chiffre stable au fil des ans et conforme à la tendance observée mondialement. Du fait de ce petit nombre, les femmes sont regroupées dans un seul et même bloc aux équipements limités. 

« L’infériorité numéraire des femmes entraine de facto divers désavantages tout au long de leur séjour carcéral, notamment en matière d’hébergement, de possibilité de travail, de suivi thérapeutique, de participation à certaines activités ou d’accès aux infrastructures de sport », confirme, en 2017, un rapport spécial de la Médiatrice sur la situation des femmes détenues au Luxembourg. Pendant trois mois, les services de Claudia Monti, dont les attributions incluent le contrôle des lieux privatifs de liberté, avaient rencontré des professionnels du monde carcéral et des détenues. 

Ménage, repassage, tricot…

Concrètement, leurs conclusions montrent notamment que les femmes ont accès à des installations sportives moins bien dotées que celles des hommes ou à des offres de travail et de formation plus réduites. Généralement, leurs activités se résument aux tâches assignées aux femmes par la tradition:  ménage, repassage, tricot ! L’égalité des chances, tant promue par ailleurs, s’arrête aux portes de la prison. Le rapport de la Médiatrice relevait pourtant qu’une femme travaillait sans difficulté dans un atelier réservé aux hommes. « La prison de Bordeaux a expérimenté des ateliers communs aux femmes et aux hommes et le résultat est tout à fait positif », rapporte aussi Christian Richartz. 

Le président de « Eran, eraus… an elo » soulève les incohérences du système luxembourgeois : « On propose aux femmes de faire de la couture, un métier qui n’a quasiment plus de débouché en Europe. Pourtant, il y a une demande forte et diversifiée sur le marché du travail au Luxembourg. Il faut leur proposer des activités qui leur permettent de trouver un travail à leur sortie. C’est essentiel pour la réinsertion: quand une ancienne détenue gagne décemment sa vie, cela lui montre qu’elle peut s’en sortir sans basculer dans la délinquance, car c’est généralement la pauvreté qui amène à la prison. »

Les violences, fréquentes entre les hommes, sont plus rares entre les femmes. Des inimités peuvent néanmoins voir le jour et, dans ce cas, elles sont contraintes à la cohabitation, contrairement aux hommes qui peuvent être placés dans des blocs distincts. Christian Richartz raconte le cas extrême d’un meurtre commis dans le bloc des femmes il y a une dizaine d’années : « Deux détenues avaient été suspectées et, devant le tribunal, elles s’étaient mutuellement chargées, l’une et l’autre s’accusant d’avoir commis le meurtre. Elles ont été condamnées chacune à 15 ans de prison qu’elles purgent quasiment côte à côte dans le même bloc. »

Les enfants passent à la fouille

L’ouverture, prévue en 2022, d’un nouveau centre pénitentiaire à Sanem ne changera rien à la situation. Il n’y aura pas de bloc réservé aux femmes qui resteront cantonnées à Schrassig et, pour une minorité, à Givenich, où les détenus peuvent bénéficier d’un régime semi-ouvert. La future prison est destinée à la détention préventive. Les détenus en attente de jugement représentent près de la moitié de la population carcérale au Luxembourg, un taux particulièrement élevé en Europe. « Les magistrats envoient facilement les gens en prison, même pour des délits mineurs », affirme Christian Richartz. « Cela s’explique notamment par l’absence de surpopulation carcérale, au contraire d’autres pays. Et cela n’encourage pas le développement des alternatives à l’emprisonnement, comme le bracelet électronique. » En 2019, seuls 13 femmes et 42 hommes avaient bénéficié de cette solution à même d’éviter la détention préventive et à faciliter la réinsertion des condamnés. 

Le rapport de la Médiatrice mettait aussi l’accent sur les besoins particuliers des femmes en matière de santé ou sur leur condition de mère quand c’est le cas. Jusqu’à leur dix-huitième mois, les enfants peuvent séjourner en prison à leurs côtés. Ils sont ensuite placés auprès du père, de leur famille ou d’une institution d’accueil. Les visites des enfants ont lieu le samedi dans un espace spécialement aménagé, garantissant de bonnes conditions d’échanges avec la mère. Mais comme tout visiteur, ils sont soumis à une fouille, expérience potentiellement traumatisante pour un enfant et qui a suscité la désapprobation de la Médiatrice. 

Les fouilles s’appliquent aussi aux détenues lorsqu’elles sortent brièvement de la prison, pour des examens médicaux par exemple. « On les soumet à des fouilles intégrales, elles doivent se dévêtir entièrement, alors que cette pratique n’a plus cours dans la plupart des pays », déplore Christian Richartz. Cet usage contrevient aux Règles de Bangkok, un texte adopté par l’ONU pour encadrer la détention des femmes. 

Attachée au lit pendant l’accouchement

Lors de sa publication officielle en 2018, le rapport de la Médiatrice avait soulevé quelques vagues, sans pour autant faire bouger les lignes. En 2020, « Eran, eraus… ans elo » avait donc remis l’ouvrage sur le métier en interpellant Sam Tanson, la ministre de la Justice, avec le concours du député Déi Lénk Marc Baum, seul responsable politique à s’être engager sur les difficultés des femmes en prison. « Les politiques ne se mouillent pas sur le sort des détenus, électoralement ce n’est pas très payant », observe Christian Richartz, se disant déçu du peu d’attention témoigné par les ministres de la Justice à la problématique. « En revanche, il y a une très bonne écoute des responsables de l’Administration pénitentiaire. Ils sont souvent en accord avec nos recommandations, notamment sur la condition des femmes. Mais ça a du mal à bouger sur le terrain, les choses mettent du temps à évoluer, c’est un travail de longue haleine. »

Les conservatismes, alliés au faible nombre de femmes détenues, peuvent mener à des situations inacceptables et violant les droits humains, selon la Médiatrice. Son rapport documente l’histoire d’une jeune-femme enceinte de sept mois au moment de son incarcération pour un délit mineur. Le jour de l’accouchement, elle est transportée au CHL par une escorte de la police. En plus d’une garde à la porte d’entrée, quatre agents de police, dont trois hommes, sont présents dans la salle lors de l’accouchement. La jeune-femme est « fixée au lit par une entrave aux pieds, ce qui est contraire aux Règles de Bangkok », écrit la Médiatrice. Elle est ensuite entravée à son lit durant les cinq jours où elle séjourne à la maternité de l’hôpital, l’obligeant à « faire appel au personnel soignant pour lui amener son bébé en cas de besoin ».

L’affaire soulève bien sûr la question du discernement des policiers, le risque de voir une détenue s’évader pendant un accouchement étant à peu près nul. Au-delà, elle interroge l’impréparation et l’absence de procédure encadrant un tel événement, « qui ne survient que tous les 7 ou 8 ans », évalue le président de « Eran, eraus… an elo ». « Rédiger un règlement pour un accouchement ne prendrait pas plus de trois jours et on pourrait s’y référer le moment venu. » A entendre Christian Richartz, l’épisode relaté par la Médiatrice a fait grand bruit. « Cela ne se reproduira plus », croit-t-il savoir. C’est bien le moins.