Le chaos économique et politique mondial engendré par Washington relègue au second plan la guerre menée par les réseaux islamistes contre la culture occidentale et ses valeurs.

Par Cadfael

Les frères ennemis

Le courant islamiste sunnite, le plus important, adhère aux interprétations coraniques issues d’une lignée directe avec les enseignements du prophète, tandis que les rivaux chiites se réfèrent aux enseignements transmis par les lettrés issus de la lignée de sang d’Ali, le cousin de Mohamed. Les deux mouvances et leurs partisans sont ancrés dans une haine féroce mutuelle, tout en se livrant une guerre sanglante.

Les Frères sunnites du Juste Milieu

C’est ainsi que se nomment eux-mêmes les Frères musulmans, un groupe transnational dont le militantisme, le frérisme, est défini par Florence Bergeaud-Blackler, membre du CNRS, comme : « … une forme d’islam politico-religieux qui veut instaurer la société islamique mondiale et mondialisée en contournant le politique et en utilisant l’économie mondialisée, la culture, la soft law et le soft power, alors que les partis islamistes des pays musulmans veulent conquérir le pouvoir politique des États par les urnes ou la révolution. » Sous une apparence policée, ceux qui se réclament du « Juste Milieu » sont à l’origine du Hamas et… de la mosquée de Luxembourg.

Parmi les chercheurs, il y a convergence sur le fait qu’ils représentent le berceau idéologique du terrorisme islamique de tradition sunnite. Prêts à tout pour atteindre leur idéal d’un État religieux conforme à leur interprétation coranique, ils nourrissent des groupes comme Al-Qaïda, le Jihad islamique, Daech (ISIS) ou encore la matrice salafiste du takfirisme, tous formés sur les mêmes bases idéologiques. Les experts pointent du doigt le djihadisme salafiste, le takfirisme, qui constituerait une sorte d’artère transnationale, un réservoir de résilience pour Daech ou ISIS. La politologue américaine Katherine Zimmermann précise : « Le salafisme représente une petite partie de l’islam sunnite, et le djihadisme salafiste une petite partie du salafisme. » Selon elle, Al-Qaïda ou ISIS regarnissent leurs rangs grâce aux salafistes. Ils ont recours à eux pour leurs besoins opérationnels et de formation.

La structure transnationale des Frères leur offre des points d’entrée opérationnels dans des conflits locaux, qu’Al-Qaïda, ISIS ou un de leurs sous-groupes noyautent par la coercition ou la cooptation. Leurs responsables sont souvent géographiquement dispersés tout en travaillant à des stratégies communes grâce à des réseaux de communication sophistiqués. Le mouvement est devenu résilient, en prise avec le terrain, flexible et complexe, avec un pouvoir de nuisance important. La Rand Corporation, dans une publication de mars dernier, souligne l’implantation d’ISIS en Afrique mais également en Amérique latine, où ils collaborent avec les cartels, assurent des formations, collectent du renseignement et tentent de s’implanter. En Europe, ils représentent toujours une réelle menace, comme le montrent les divers incidents meurtriers des derniers mois, même si leur participation directe est parfois difficile à prouver.

L’Iran et la mouvance shiite

La mouvance chiite, avec le Hezbollah et d’autres groupes militants inféodés, ainsi que, curieusement, le Hamas sunnite, est largement financée par l’Iran. Aux ordres des mollahs et de leur appareil de sécurité, afin de satisfaire leurs objectifs d’expansion régionale et internationale, elle bénéficie d’un soutien secondaire du Pakistan, pays officiellement allié des États-Unis. Rien qu’au Royaume-Uni, les services britanniques sont parvenus à déjouer 22 tentatives en 2024 visant des citoyens ou des intérêts britanniques. Il en va de même dans d’autres pays, qui constatent que les Iraniens ont adapté leurs méthodes et utilisent de manière préférentielle des criminels pour exécuter leurs opérations. Il est question d’assassinats, de kidnappings, d’intimidations et d’opérations de surveillance d’opposants, entre autres. Selon des statistiques américaines, 54 opérations de ce type ont été recensées en Europe entre 2021 et 2024.

Une internationale antiterroriste

Face à la complexité et à la fluidité de l’activisme islamiste, une coalition globale pour combattre l’État islamique (IS) et ses associés a été mise en place en 2014. Elle compte 86 pays membres, dont le Luxembourg. Le Pakistan, en principe allié des États-Unis, ainsi que d’autres pays comme l’Afghanistan, en sont absents.

Au vu des aspects hautement volatils de la politique américaine, certains de ses membres pourraient devenir plus perméables aux sirènes islamistes. Les diverses composantes de l’islamisme ne manqueront pas de profiter des nouvelles donnes, d’autant plus que la Russie, la Chine, le Pakistan ou la Corée du Nord, en fonction de leurs analyses du moment, n’hésiteront pas à donner un coup de pouce discret à des terrorismes régionaux.

Il faut espérer que les Européens sauront, de manière pérenne, renforcer leur coopération en la matière, comme ils le font dans le domaine de la grande criminalité, que ce soit de manière bilatérale ou en utilisant les plateformes d’Interpol, d’Europol ou d’autres.