Par Cadfael

Parmi les sociétés les plus anciennes toujours en activité et souvent dans la même famille, certaines sont millénaires. Les plus anciennes sont japonaises. Il y en a plusieurs. Aujourd’hui, survivre aussi longtemps pour une société commerciale relève du miracle.

Les vénérables anciens

Le record de longévité est détenu au Japon par la société de construction « Kongo Gumi », créée en 578 apr. J.-C.. Elle a démarré avec la construction d’un temple. Aujourd’hui, elle est toujours active dans ce domaine. En difficultés financières, elle a été rachetée en 2006. Ce sera son quarantième dirigeant familial qui aura clôturé une saga en lignée directe. Aujord’hui, elle est toujours la plus ancienne société au monde en activité continue.

II y a d’autres sociétés japonaises comme le « Nishiyama Onsen Keiunkanun », un hôtel à sources chaudes.  Géré depuis l’an 707 par la même famille, il est le plus ancien hôtel au monde. Son fondateur aurait eu un rêve qui lui enjoignait de vivre à cet endroit de sources, car il serait protégé des dieux, protection qui semble toujours tenir.

Il en va probablement de même pour le Stifts Keller St Peter au sein de l’abbaye du même nom à Salzbourg, qui est la première société du vieux continent sur la liste des vénérables anciens. Faisant partie de l’abbaye de St. Pierre, fondé en l’an 803, il aurait vu festoyer dans ses locaux rien de moins que Wolfgang Amadeus Mozart et Christophe Colomb. Seconde société de la liste est le plus ancien viticulteur d’Europe qui, lui, est allemand et qui remonte à l’an 862. L’élévation de l’âme passant par les vignes du seigneur, elle a été fondée par une abbaye. La première société française ne date que de l’an mille. Elle est également dédiée a la dive vigne et est toujours entre les mains de la même famille noble, les de Goulaine. Le plus ancien des Italiens à être toujours en activité et toujours dans la même famille, voit le jour en l’an 1040. Il s’agit de la fonderie pontificale Marinelli dans la province d’Isernia. Suivent ensuite des brasseries autrichiennes, allemandes, et belges.

Une histoire de beauté

La pérennité dans l’histoire ne peut que difficilement rivaliser avec la beauté qui elle est intemporelle. Don de Dieu ou de la nature, elle est difficile à conserver comme le note le poète Ronsard en 1524 « Puis qu’une telle fleur ne dure que du matin jusques au soir ! ». Il convient qu’elle fane le plus lentement possible. Et l’Homme, dans son ingéniosité infinie, créa les cosmétiques pour les individus afin que la vie devienne encore plus douce. La plus ancienne société de cosmétiques est sans aucun doute l’Anglaise « Yardley » . Célèbre pour ses savons qui utilisent un certain type de lavande, elle  a été fondée officiellement en 1770. Il est historiquement établi que ses savons se vendaient déjà deux siècles avant cette date. Suivront les  Pond’s en 1846, les Kiehl’s en 1851, les Vaseline et autre Shiseido en 1897. Cette dernière sous forme de pharmacie, son fondateur n’étant pas satisfait des produits japonais de l’époque.

Les produits de Florence Nightingale

L’Oréal ne sera créé qu’en en 1909 et Elisabeth Arden en 1910. Née Florence Nightingale Graham cette dernière commercialisera des rouges à lèvres sous la dénomination « Elisabeth Arden ». Outils politiques, ses rouges à lèvres joueront un rôle certain dans le mouvement des suffragettes américaines visant à l’obtention du droit de vote pour les femmes. Elles l’obtiendront en 1920, deux ans après le Luxembourg. Le rouge à lèvres, ce symbole de « révolte et d’émancipation » de la femme dérangera le bel agencement d’un monde conservateur américain où le mâle régnait sur la femme, sagement rangée, au foyer. En 1914 Arden lancera le premier « eye makup » et en 1917 elle commercialiser les premiers produits de beauté de voyage.

Objet de toutes les convoitises

En 2016, « Elisabeth Arden » a été acquise de manière hostile pour 870 millions de dollars par Revlon, propriété du milliardaire et financier Ron Perelmans. Il avait pris le contrôle Revlon en 1985 grâce à des financements pour le moins risqués selon la presse financière. Pour ce faire il a alourdi de manière significative le poids de son endettement. Six ans après le groupe de cosmétiques Revlon est en faillite avec un endettement de 3.7 milliards de dollars. L’icône du monde de la beauté, qui fêtait ses 90 ans, vient ce 16 juin, de se placer sous la protection du fameux « chapter 11 » du code des faillites américain, afin d’éviter la liquidation pure et simple. Ce statut autorise une restructuration de la dette et l’intervention éventuelle de finances externes pour sauver ce qui peut l’être. Depuis au moins une décennie, on discute au Luxembourg de ce genre de législation qui permet d’éviter un dépècement souvent absurde de sociétés ayant de sérieuses chances de survie. Perelmans, personnage rutilant, reste actif dans les technologies militaires, les biotechs, les loisirs, les cigares, la sécurité, les casinos… Selon la presse économique américaine, il y aurait une rentrée de prévue de plus de 500 millions de dollars, ce qui autoriserait une continuation provisoire des opérations. En dehors d’un problème de gestion financière, la vision conservatrice des dirigeants du groupe leur a fait rater le coche, des tendances modes, des blogueurs, des réseaux sociaux ainsi que d’une communication du type où un pirate des Caraïbes vend de l’eau de rose. Ils ont perdu du terrain face aux icônes des jeunes générations qui lancent leurs propres marques, souvent avec des ingrédients d’origine chinoise là où chez Elisabeth Arden il faut au moins 40 composants pour un rouge à lèvres.

Morale de l’histoire, s’il y en a une : Que valent la beauté et la tradition face aux appétits d’un financier qui transforme une société de tradition en une breloque supplémentaire à sa gloriole… ?