Ce qui se joue au cœur de la démocrature américaine affecte déjà nos pays — et les impactera encore davantage à l’avenir. L’analyse des négociations en Ukraine met en lumière le socle intellectuel qui façonne l’administration Trump.
Par Cadfael
Trump versus Zelinski
Un premier projet d’accord américano-ukrainien a été publié le 26 février par The Kyiv Independent. Ce texte bilatéral, relativement simple dans sa structure, prévoyait la création d’un fonds d’investissement mixte qui aurait la main mise sur l’ensemble des ressources naturelles de l’Ukraine. En contrepartie, ce fonds s’engagerait à financer des projets liés à la reconstruction du pays ainsi qu’à sa « sécurité et prospérité », sans que ces termes soient davantage précisés.
Selon le Kiel Institut für Weltwirtschaft, au 14 janvier, les États-Unis avaient dépensé 114 milliards de dollars en Ukraine, contre 138 milliards pour l’Europe — soit moins de 0,2 % du PIB américain. On est loin des 300 à 350 milliards d’aide annoncés par Donald Trump, qui, selon la BBC, affirmait que ces sommes seraient compensées par un retour estimé à 500 milliards de dollars en minerais. Une demande qui a disparu de la version publiée de l’accord.
D’après des informations diffusées par une plateforme américaine spécialisée en géopolitique, les exigences de Washington auraient de nouveau évolué la semaine dernière. Le nouveau texte incarne une Realpolitik assumée, à peine voilée par un néo-impérialisme dur, en rupture avec l’approche de l’administration précédente, qui prônait une certaine équité entre alliés. Les États-Unis viseraient désormais l’appropriation des « minerais critiques ». Washington réclamerait un droit de première offre sur tous les futurs projets d’infrastructure et d’exploitation des ressources naturelles du pays. Cela conférerait aux États-Unis un pouvoir considérable sur les investissements ukrainiens dans les domaines du pétrole, du gaz, des énergies et, surtout, des minéraux stratégiques.
Le texte prévoit la création d’un fonds d’investissement conjoint destiné à partager les profits tirés de l’exploitation du sous-sol ukrainien. Washington y disposerait d’un droit de tirage prioritaire. Ce fonds serait administré par un conseil de surveillance de cinq membres, dont trois Américains. Par ailleurs, l’aide américaine à l’Ukraine depuis 2022 serait requalifiée en capital injecté dans ce fonds. Selon le Financial Times, des sources ukrainiennes auraient qualifié cette approche d’« injuste » et de véritable « vol ». Washington espérait une signature rapide, mais cette vision semble aujourd’hui compromise — au grand plaisir, sans doute, des factions rivales du Kremlin et de Pékin.
On croirait assister à un retour du Far West, avec des échanges de verroteries contre les richesses de la terre. Nous sommes bien loin de la profession de foi d’Antony Blinken, 71e secrétaire d’État sous Joe Biden, qui écrivait encore en octobre dernier dans Foreign Affairs : « Il convient de rivaliser de manière à faire bénéficier la prospérité et la sécurité des pays amis, plutôt que de vivre à leurs dépens. »
L’Heritage Foundation
En politique intérieure, elle est à l’origine du « Projet 2025 ». Cent vingt millions de dollars y ont été injectés par six familles milliardaires depuis 2020. Contrôlant une myriade de structures de type ASBL, six de ses experts font partie de l’équipe de Trump. Créée en 1973, elle thématise les objectifs ultraconservateurs de la société mercantile américaine et se rapproche des éléments les plus radicaux de l’ultra-droite du Parti conservateur.
Le but déclaré du « Projet 2025 », qui aurait été rédigé avec l’aide d’environ 400 experts, est la consolidation de ses valeurs au sein de la société américaine, à travers un changement radical de la gouvernance du pays. Le tout est sous-tendu par une vision d’une Amérique blanche, religieuse, jouant sur les racines racistes du pays, toujours présentes sous la surface.
Elle affirme que 64 % des propositions issues de son programme, soumises à l’équipe de Trump, ont été acceptées.
La doctrine Morgenthau
En matière de politique étrangère, Trump semble avoir fait renaître de ses cendres les préceptes d’Henry Morgenthau Jr. Issu d’une famille de la grande bourgeoisie, celui-ci avait proposé en 1945, en tant que secrétaire d’État au Trésor, un plan au gouvernement Roosevelt concernant la gestion de l’Allemagne nazie après sa défaite. Il s’agissait de la transformer en un pays agricole, en démantelant purement et simplement l’ensemble de son appareil industriel. Ce plan fut finalement jugé inapplicable pour des raisons stratégiques, notamment face à la montée de l’Union soviétique.
Aujourd’hui, ses enseignements connaissent un regain d’intérêt dans le cadre d’une realpolitik selon laquelle les dirigeants politiques doivent penser et agir en fonction d’intérêts de puissance, dépourvus de toute dimension libérale ou idéaliste.
Le fils d’Henry, Robert Morgenthau, et Donald Trump se connaissaient de longue date. Robert, procureur à New York, était très engagé dans la lutte contre la corruption et le crime organisé. En charge du district du Queens — berceau du clan Trump, actif dans l’immobilier — il aurait influencé Donald dès ses débuts professionnels et tout au long de sa carrière politique. Morgenthau est décédé en 2019, à l’âge de 100 ans.
Selon les médias ukrainiens, le plan Trump pour l’Ukraine s’apparenterait à un « néo-Morgenthau », visant à instaurer une dépendance énergétique et une désindustrialisation, transformant le pays en fardeau et accentuant l’instabilité en Europe.