Par Cadfael
Le 9 mai, Poutine fêtait sa version de la victoire sur le nazisme. Cette mise en scène, en l’absence du chef d’état-major russe, mais avec des généraux hauts en couleur, bardés de médailles et ses défilés de troupes au pas de l’oie en dit long sur l’appareil de propagande du dictateur. S’il fait encore illusion dans la Russie profonde, il révèle une superpuissance de jadis qui n’est plus que l’ombre d’elle-même, même en exhibant le drapeau rouge avec marteau et faucille.
Azovstal, symbole de la résistance ukrainienne
Selon des sources ukrainiennes, tous les civils ont été évacués de l’usine sidérurgique d’Azovstal. Les Russes en ont profité pour abattre trois soldats ukrainiens qui aidaient des civils à évacuer. Plus d’un millier de combattants sont retranchés dans cette usine qui date de l’époque soviétique, tenant tête aux pilonnages russes. Selon le président Zelenski, les efforts doivent maintenant porter sur l’évacuation du personnel médical et des blessés. Il aurait évoqué des états influents impliqués dans les négociations concernant l’extraction des militaires ukrainiens. « Cette extraction signifierait qu’un pays tiers du fait d’un accord entre les deux belligérants exfiltrerait les défenseurs d’Azovstal et donnerait des garanties que ceux-ci ne retourneraient plus en Ukraine jusqu’à la fin des hostilités ».
Crimes de guerre au quotidien
Les témoignages se multiplient concernant des crimes de guerre commis par les troupes russes, mal payées, mal formées, mal équipées. Viols, pillages, destructions systématiques de biens civils, exécutions sommaires donnent l’impression que le commandement russe laisse faire ou ne maîtrise pas ses troupes. Les médias se font l’écho de nombreux cas de refus d’obéissance de recrues qui selon les communications interceptées se considèrent comme de la chair à canon. Suite à des interceptions téléphoniques, les morts russes seraient empilés sur des « décharges » (terme utilisé). Ces dépôts de cadavres de deux mètres de haut selon des soldats russes sont destinés à occulter les pertes réelles face aux familles des soldats de Moscou. 460.000 Ukrainiens ont été déportés en Russie dont la moitié des enfants. Un nombre non précisé sont incorporés dans l’armée russe.
L’arme alimentaire
Les signes se multiplient, le commandement russe utilise l’arme de la famine comme élément de pression sur la coalition alliée. Lors du dernier briefing bi-hebdomadaire de l’ONU, qui synthétise les communications des grandes unités de l’organisation mondiale, Josef Schmidhuber, directeur adjoint de la division « marchés et commerce » de la FAO (l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture), a mentionné que les Russes en Ukraine volent du blé et du matériel agricole. Il a confirmé que 14 millions de tonnes de blé étaient immédiatement disponibles à l’exportation sur les 25 millions qui étaient habituellement exportés, mais en raison du blocus russe des ports ce n’était pas possible. Il qualifiait cette situation de grotesque. « Ce n’est pas un problème de disponibilité, mais d’accès ». A la question si les troupes russes pillaient les stocks de céréales et détruisaient délibérément des terres agricoles et des troupeaux de bétail afin de renforcer la crise et d’utiliser la nourriture comme moyen de pression, il a répondu qu’il y avait des évidences empiriques, mais qu’il ne disposait pas de statistiques précises.
L’anniversaire de la victoire sur l’Allemagne nazie
Lors de cette célébration du 8 mai, importante pour l’Ukraine, Zelenski a souligné que son état « faisait partie intégrante d’un monde libre et d’une Europe unie /…/ La Russie a oublié tout ce qui était important dans cette victoire : le « jamais plus… Never again ».
Lors de ce 8 mai, son pays a participé pour la première fois à un meeting du G7 tandis que Jill Biden, l’épouse du président américain visitait l’Ukraine et le chanteur Bono des U2 et le musicien irlandais The Edge (David Howell Evans) ont donné un concert acoustique dans des bunkers de Kiev.
Un mensonge et une victoire
Les célébrations de la victoire de l’Union soviétique sur l’Allemagne nazie ont durant toute l’époque du communisme stalinien, religion laïque par excellence, rythmé l’année russe. Staline fêtait la victoire de son régime sur les nazis en novembre par de grandes liturgies sur la place rouge. L’historiographie officielle occultait soigneusement que le Reich n’avait pu grandir aussi rapidement que grâce au pacte Molotov-Ribbentrop signé le 23 août 1939 : un traité de non-agression entre deux dictatures, l’une rouge et l’autre brune, au détriment de la Pologne. Il permettra à Stalin , sous prétexte de protection des populations russophones, d’annexer des parties de la Finlande, des pays baltes et de la Roumanie et des territoires polonais qui aujourd’hui font partie de l’Ukraine et du Belarus. Le 1er septembre 1939, l’Allemagne envahira la Pologne et les massacres de juifs débuteront dans le sillage de la Wehrmacht. La Russie permettra à l’armée allemande d’utiliser sa station émettrice de Minsk pour relayer les communications radio électriques. Le 17 septembre Staline envahira également la Pologne. Le 22 juin 1942, l’Allemagne envahira la Russie et les deux dictatures vont graver l’histoire dans la douleur, le sang et la haine. Le pacte stalino-hitlérien restera longtemps un des grands tabous des régimes soviétiques.
La grande mise en scène de Poutine
Ce 8 mai était une mise en scène de Poutine dont l’appareil de propagande s’approprie systématiquement ce qui peut lui servir politiquement. Auparavant la célébration de la victoire était intégrée aux commémorations de la Grande révolution socialiste d’Octobre 1917. Elle se fêtait en novembre. Dans le cadre d’une réécriture marxiste de la mémoire collective russe, en rupture avec les idéologies qualifiées de décadentes, Staline avait décrété le passage du calendrier julien en usage dans la Russie tsariste au calendrier grégorien qui est décalé de 13 jours. Cette décision fera glisser la célébration de la révolution d’Octobre au mois de novembre. Ce sera Breshnev qui réhabilitera le 9 mai lors du 20e anniversaire de la grande victoire en 1965.
Gorbatchev favorisera de nouveau la révolution d’octobre, qui se fête le 7 novembre. Ce sera Poutine qui remettra à l’ordre du jour le culte de la victoire et du sacrifice pour la patrie en mettant en place une réhabilitation rampante de Staline et une volonté de redonner à la Russie sa place sur la scène internationale. Dans son discours particulièrement sobre cette année, il aura blâmé la dégradation morale de l’Ouest en soulignant ce que le peuple voulait entendre : les thèmes de l’humiliation de la Russie, de la guerre comme la seule option possible pour maintenir la souveraineté et l’indépendance du pays afin d’anéantir une menace nazie, fantôme qui permets d’absoudre le viol international d’un pays et les exactions qu’il entraîne.