Touché par la chute des subventions publiques, le secteur muséal a besoin de ressources. C’est pourquoi des musées à forte notoriété multiplient les partenariats avec des marques. Si ces alliances de co-branding revêtent de multiples intérêts pour les deux parties, elles sont parfois décriées. Décryptage.
© Louvre x Lancôme
Le Metropolitan Museum of Art de New York a été fondé en 1870 dans l’idée d’apporter l’art et l’éducation artistique au peuple américain. Plus de 150 ans après sa création, le musée américain poursuit le même but en s’invitant dans tous les foyers… possédant une télévision Samsung. Mais pas n’importe quel modèle de la marque : The Frame, un téléviseur au design atypique en forme de tableau.
Le Met s’est associé avec le géant sud-coréen pour intégrer une trentaine de ses chefs-d’œuvre au Samsung Art Store, la bibliothèque d’images réservée aux détenteurs d’une télévision The Frame. Ces derniers peuvent désormais afficher chez eux des tableaux habituellement exposés au Met, tels que “Répétition d’un ballet sur la scène” d’Edgar Degas, “Les Tournesols” de Vincent Van Gogh, “Nature morte aux pommes et aux primevères” de Paul Cézanne ou encore “Parade de Cirque” de Georges Seurat. Des trésors des arts égyptien, islamique et japonais figurent aussi dans la sélection du Met pour les téléviseurs The Frame.
Josh Romm, responsable des licences et des partenariats mondiaux au Met, voit cette alliance avec le groupe d’électronique comme un outil de démocratisation culturelle. “Le Met s’est engagé à apporter l’art et la culture dans la vie quotidienne de ses visiteurs et des amateurs d’art du monde entier. Notre collaboration avec Samsung poursuit cette mission d’une manière nouvelle et moderne, en permettant aux consommateurs d’apprécier chez eux des œuvres emblématiques de la collection du Met. À mesure que les utilisateurs exploreront la sélection et choisiront les œuvres à afficher chez eux, ce programme suscitera un nouveau dialogue sur l’art, la créativité et la technologie”, a-t-il déclaré dans un communiqué.
Avant le Met, Samsung a noué un partenariat similaire avec le Louvre. Ces dernières années, le premier musée du monde a noué de multiples accords de co-branding pour étendre son rayonnement et diversifier ses revenus. Le plus récent est une collection de soins et maquillage créée en collaboration avec la luxueuse marque de cosmétiques Lancôme. Cette gamme de produits est directement inspirée par neuf chefs-d’œuvre de la sculpture exposés au Louvre, dont “La Vénus de Milo” et “La Victoire de Samothrace”, ainsi que par les lumières et couleurs de l’établissement d’art parisien.
D’Uniqlo à Ladurée
Pour le Louvre, ces partenariats commerciaux ne consistent pas uniquement à apposer son logo, mais à valoriser son univers. Le musée sélectionne avec soin les enseignes avec lesquelles il s’associent pour toucher de nouveaux publics, sans nuire à son image de marque. Au fil des ans, il s’est ainsi invité dans la garde-robe des fashionistas en s’alliant avec Off-White, Uniqlo et Louis Vuitton, au poignet des jeunes cadres dynamique avec Swatch, dans l’intérieur des mordus de design avec Maison Sarah Lavoine et Bernardaud, ou encore sur les papilles gustatives des gourmands avec Ladurée et le Palais des thés.
En exposant les œuvres de ses collections par le biais de marques grand public et plus confidentielles, le Louvre suit l’exemple de ses homologues internationaux, et surtout anglo-saxons. Le musée Van Gogh d’Amsterdam en a fait autant en s’associant avec Vans, tandis que le musée d’art contemporain de Los Angeles (MoCA) a jeté son dévolu sur Levi’s et le Solomon R. Guggenheim Museum de New York sur COS. Mais le partenariat le plus prolifique est celui qui noue le musée d’art moderne de New York (MoMA) et l’enseigne japonaise d’habillement Uniqlo depuis 2013. Il a donné naissance à une gamme de vêtements et d’accessoires inspirés du MoMA, mais aussi à des contenus digitaux, des événements spéciaux et même une politique de gratuité. Cette dernière bénéficie à tous les habitants de New York le premier vendredi de chaque mois.
Car il n’y a qu’un pas entre l’artketing, comprendre l’art au service d’une marque, et le parrainage. Uniqlo l’a bien compris : la marque de prêt-à-porter a noué des contrats de sponsoring avec le MoMA de New York, la Tate Britain de Londres, le musée des Beaux-Arts de Boston, le musée d’art contemporain de Barcelone et le Louvre de Paris. Une façon de gagner en visibilité et surtout en prestige pour les marques. Les musées s’y retrouvent, eux, du point de vue financier, même si les marques sont très discrètes sur les montants investis dans ces partenariats. Le développement et la commercialisation de la marque Louvre a rapporté près de 4,5 millions d’euros en 2020, d’après le Quotidien de l’Art. C’est une somme non négligeable quand on sait que le Louvre a enregistré 69,5 millions de pertes cette année-là.
De quoi donner envie à d’autres établissements d’art de suivre l’exemple du Louvre, du Met ou du MoMA en diversifiant leurs revenus grâce à des accords de co-branding. Cependant, collaborer avec des marques expose à des risques. Le musée d’art contemporain de Los Angeles a été vivement critiqué en 2007 pour avoir accueilli, en son sein, une boutique éphémère Louis Vuitton dans le cadre de la rétrospective “© Murakami”. À l’époque, le critique d’art Dave Hickey avait déclaré que cette opération commerciale a transformé le MoCA en “une sorte de Macy’s [chaîne américaine de grands magasins, ndlr.] haut de gamme”, selon le New York Times.
Autre collaboration et autre controverse. En 2019, le Louvre et la plateforme de locations Airbnb ont organisé un jeu concours pour passer une nuit sous la pyramide du célèbre musée parisien. L’heureux gagnant a pu dîner dans une salle à manger d’un soir, installé au pied de la Vénus de Milo, avec la personne de son choix, et assister à un concert intimiste de la chanteuse pop folk Sarah Jeanne Ziegler dans les salons Napoléon III. Un programme alléchant qui a toutefois fait grincer quelques dents. Ian Brossat, adjoint chargé du logement à la Mairie de Paris, a exprimé son mécontentement vis-à-vis d’un partenariat qu’il juge “désastreux et choquant” dans une lettre adressée au ministre de la Culture de l’époque, Franck Riester.