De nombreux malades et hôpitaux européens vivent une pénurie de médicaments, souvent parmi les plus demandés. Malgré la complexité de la situation, un changement rapide n’est pas en vue…
Par Cadfael
Le prix du business
Depuis plusieurs années, aucun pays européen n’est à l’abri de ruptures d’approvisionnements en médicaments. Un sondage effectué fin 2022 sur les 29 pays de l’Union européenne montre que tous sont passés par ce genre de situation qui a empiré par rapport à l’année précédente. Elle englobe un large éventail de traitements, allant des médicaments couramment utilisés, tels que le paracétamol, aux traitements plus spécialisés tels que ceux contre le cancer, les maladies cardiovasculaires, les troubles gastro-intestinaux, les antibiotiques, les insulines et bien d’autres. Selon les autorités, cette pénurie peut durer entre 72 et 130 jours. Pour l’Académie de Pharmacie française, « la preuve est faite une nouvelle fois que, du fait de la multiplicité des maillons de la chaîne de production, il suffit d’une catastrophe naturelle ou sanitaire, d’un événement géopolitique, d’un accident industriel, pour entraîner des ruptures d’approvisionnement pouvant conduire à priver les patients de leur traitement. » L’industrie pharmaceutique qui aime se vêtir d’un manteau humaniste a massivement délocalisé en imitant les fabricants de friteuses électriques ou de voitures. Selon les experts, en 2021, la dernière usine européenne d’antibiotiques était située en Autriche, dans le Tyrol, et appartenait à Sandoz, une filiale du groupe Novartis, le troisième plus grand fabricant de médicaments génériques au monde. Cependant, avec un bénéfice net de seulement 7 milliards en 2022, Sandoz semble pâle en comparaison aux impressionnants 31 milliards de bénéfice net du leader mondial, Pfizer.
Un approvisionnement problématique
70 % des matières premières et substances actives utilisées en Europe viennent de Chine ainsi que 60 % des médicaments génériques d’Inde. Dans ce contexte, la sécurité sanitaire et le malade ne pèsent pas lourd. L’industrie chinoise en exporte pour plus de 7 milliards là où l’Indienne vaut 27 milliards de dollars par an. Cette dernière exporte ses produits dans plus de 200 pays et fabrique 20 % des génériques et quasi 60 % des vaccins mondiaux. Le Washington Post souligne les contrôles laxistes des multinationales à l’achat en faisant écho au gendarme américain de la santé publique, le CDC (Centers for Disease Control and Prevention) qui parle d’un « un cadre réglementaire inadapté qui transforme le négoce international de médicaments en une activité à haut risque dans un environnement au professionnalisme insuffisant ».
Aux États-Unis, un tiers des pharmaciens d’hôpitaux ont déclaré que les problèmes d’approvisionnement ont engendré des rationnements de traitements, des retards ou des annulations. De manière très pragmatique, ils ont trouvé une réponse au problème par la création en 2018 de « Civika Rx » par des associations philanthropiques américaines et de grands établissements de soins qui en avaient assez des multinationales du médicament. Dans ce groupe de 500 hôpitaux, on trouve des célébrités comme la « Mayo Clinic » ou « Hca Healthcare », le plus grand groupe hospitalier au monde. « Civika Rx se démarque en construisant des usines et en produisant des médicaments ayant subi une augmentation de prix de plus de 50% entre 2014 et 2016, ou des médicaments essentiels qui figurent sur la liste nationale des médicaments manquants. »
HERA, la solution ?
En Europe, les instances nationales et celles de Bruxelles ont manifestement été inefficaces en la matière même si l’Union européenne dispose d’une très discrète « Agence européenne des Médicaments ». Après l’échec d’une politique commune du vaccin contre le Covid, Bruxelles a créé en toute discrétion fin 2021 une nouvelle organisation : HERA est ainsi l’« autorité de préparation et de réaction en cas d’urgence sanitaire » censée anticiper les menaces et crises sanitaires éventuelles. Elle se fera bercer par les doux susurrements des lobbys pharmaceutiques. On notera que l’époux de la présidente de la commission, chercheur en biogénétique, vient de démissionner de son poste d’administrateur d’une société italienne, à la suite d’une suspicion de conflit d’intérêts exprimé par des députés du Parlement européen. Du côté de l’industrie pharmaceutique, les choses bougent, un peu, avec des délocalisations et quelques usines en construction en Europe. Est-ce que ce sera suffisant ?