Elles sont jeunes et leurs visages ont fait leur chemin jusque sur les affiches de cette année très électorale. Issues du sérail local ou inconnues jusqu’il y a peu, elles représentent un certain renouveau de la politique luxembourgeoise et sont là pour y travailler, dans un parti où on ne les aurait pas forcément vues. Angélique Bartolini (CSV), Tracy Macri (ADR), Amela Skenderovic (DP) et Liz Braz (LSAP) racontent la naissance de leur vocation et leur choix d’une obédience parfois surprenante…
Par Fabien Rodrigues
Au Luxembourg, faire ses premiers pas dans la politique peut vite amener au-devant de la scène, qu’elle soit communale ou nationale. Les échelons à gravir sont moindres et le besoin de sang frais semble pouvoir propulser de jeunes talents très rapidement sur les affiches électorales, notamment dans une année aussi politique que 2023. Ainsi, qu’il s’agisse des élections communales du mois de juin ou des très récentes législatives, les citoyennes et citoyens ont pu assister à l’arrivée sur papier glacé de jeunes femmes non seulement éminemment photogéniques, mais qui sont aussi là pour assumer un discours, leur choix et leurs idées. Au sein de partis politiques parfois différents de ceux dans lesquels on les aurait a priori envisagées…
Liz Braz, Amela Skenderovic, Tracy Macri et Angélique Bartolini ont ainsi pris le parti de rejoindre celui de leur choix très personnel, par le biais d’une rencontre, d’une prise de conscience ou d’une longue réflexion. Et si ces partis – respectivement le LSAP, le DP, l’ADR et le CSV – ont évidemment un programme bien différent, ils ont en tout cas réussi un fait commun, celui de faire confiance à une nouvelle génération féminine qui n’a pas la langue dans sa poche et qui sent bon le renouveau…
La rencontre qui change tout
C’est le cas, sans équivoque, d’Angélique Bartolini, commerçante dans le quartier Gare de la capitale avec sa boutique Bagatelle, dont la vocation politique s’est tout d’abord faite par le biais d’une rencontre, celle de Serge Wilmes, député depuis 2011 et Premier échevin de la Ville de Luxembourg depuis 2017. « J’ai rencontré Serge en tant que client régulier de notre espace commercial, que je partage avec Fabien Knoppes. Nous prenions toujours le temps d’échanger nos idées autour du commerce et de l’urbanisme lors de ses passages. Il s’agissait toujours de discussions très constructives et instructives. » Les travaux du Tram et dans les rues, la pandémie de Covid-19 puis la hausse de l’insécurité : les défis se succèdent pour les commerçants du quartier avec qui elle espère pouvoir agir pour lui redonner de sa superbe. Serge Wilmes devient alors un interlocuteur de premier plan pour celle qui ne « savait plus à qui parler ».
Il évoque alors l’idée d’une adhésion au CSV, en prévision des élections communales. « Je suis commerçante française, donc les communales sont évidemment le point de mire dans mon cas. Je connais les difficultés rencontrées par les commerçants et pouvoir les mettre en lumière de manière plus efficace m’a séduit. Mais je n’étais pas sûr que mon profil convienne au parti : je suis féministe, je suis pour l’avortement, je ne me définis pas comme chrétienne au sens religieux du terme – des inquiétudes qui m’ont tenue éveillée la nuit et dont j’ai fait part de manière très transparente à Serge Wilmes. Mais lors d’un entretien quant à mon adhésion au CSV, sur la ligne et ses valeurs, je m’y suis absolument retrouvée. Je prends le terme de chrétien dans son sens le plus social, protecteur et familial, ce qui me correspond très bien. »
L’honnêteté, le respect d’autrui et de l’un l’autre ainsi que le maintien d’un cadre social de qualité et d’un certain bien-vivre familial à la luxembourgeoise : voilà ce qui la convainc de figurer sur la liste CSV des élections communales dans la capitale en juin dernier. « En France, le parti chrétien-démocrate n’existe pas, mon choix a donc créé beaucoup de curiosité auprès de mes proches. Les francophones ont du mal à s’intéresser à la politique locale, il y’a encore trop peu de plurilinguisme dans les communications. C’est un des points de sensibilisation qui me tient à cœur pour l’avenir. »
Faire fi des stéréotypes
Lorsqu’on connait – ou que l’on rencontre simplement – Tracy Macri, il peut paraître difficile de croire que cette pétillante agente immobilière se soit engagée – tardivement certes, mais sûrement – dans la course électorale nationale auprès d’un parti aussi clivant que l’ADR. Pourtant, ce fut une décision rapide, mêlant opportunité et quête d’un nouveau vote. « Suite au second quinquennat de la tripartite menée par Xavier Bettel, je ne me suis plus sentie en phase avec mes votes précédents. J’ai donc décidé de me renseigner sur ce qui se faisait ailleurs et j’ai trouvé convaincant le discours des jeunes membres de l’ADR, qui, comme moi, sont tout sauf timides. Les vieux clichés sur ce parti n’ont plus lieu d’être aujourd’hui quand on prend le temps de s’y intéresser et c’est ce qui explique en grande partie, je pense, le score du mois d’octobre. » Les valeurs dans lesquelles Tracy se retrouve sans complexe au sein de l’ADR sont simples : le respect des racines culturelles d’un pays comme facteur d’intégration, la liberté de choix, « notamment lors de la pandémie », et l’attention portée à la parole citoyenne. « Ne pas oublier, ne pas faire n’importe quoi ».
Son adhésion et la présence sur listes électorales de l’ADR a créé de sacrés remous dans l’entourage très international de la jeune femme, mais ça n’a certainement pas effrayé celle qui n’est jamais contre une bonne discussion à bâtons rompus : « Le plus important, c’est qu’on en parle. Je ne souhaite pas changer les convictions de chacun, mais plutôt d’expliquer les miennes en tant que personne renseignée. Bien sûr que je ne suis pas contre le melting pot luxembourgeois et l’accueil des étrangers au Grand-Duché, il suffit de regarder mes amis ! Je voudrais juste pouvoir convaincre les gens de passer au-delà des vieux clichés »…
Un combat contre les archétypes auquel s’est également attelée Amela Skenderovic lors de son engagement auprès du DP, elle qui est enseignante et que l’on aurait donc facilement imaginée dans un parti plus ancré à gauche. Mais elle aussi assume son choix à 100% : « J’ai longtemps habité à Londres, où l’engagement politique est beaucoup plus présent que ce que je voyais à l’époque au Luxembourg. Aujourd’hui, je suis ravie de voir bien plus de diversité sur les affiches électorales, et notamment au sein du parti que j’ai choisi. » Un choix issu d’un constat professionnel et d’une satisfaction : celle de l’action du ministre Claude Meisch, « qui a su apporter des changements vertueux au sein d’un système scolaire rendu toujours plus moderne, plus progressif et plus tolérant, qu’il s’agisse de genre, d’origine ethnique ou sociale ou d’orientation sexuelle ».
Née au Luxembourg de parents monténégrins, Amela se sent aujourd’hui plus motivée que jamais à poursuivre son implication auprès de son parti, notamment grâce aux nombreux témoignages de confiance reçus de jeunes filles. Une motivation intacte, voire stimulée pour Tracy Macri également, qui s’enthousiasme de poursuivre son apprentissage des ficelles grâce à une formation politique pendant les 5 prochaines années…
Rompre avec la tradition
Liz Braz, tête de liste LSAP dans le Sud lors des élections nationales, est quant à elle issue d’une famille politique bien connue : son père Felix Braz a été longtemps une tête de file du parti Déi Gréng, parlementaire luxembourgeois et européen pendant de nombreuses années et vice-Premier ministre ainsi que ministre de la Justice de 2013 à 2019. Et sa mère a « toujours été très impliquée politiquement ». Ce qui n’impose pas la politique pour autant comme une urgence dans la tête de Liz plus jeune : « Lorsque j’étais étudiante, j’envisageais la politique comme une possibilité lointaine, après une ou plusieurs premières carrières professionnelles. » Mais cette idée s’efface lors de l’accident cardiaque de son papa en 2019, qui provoque même un véritable rejet chez elle. Elle n’y reviendra que 2 ans plus tard, en se disant que « tout de même, à mon âge et avec mon profil, ce serait très dommage de ne pas tenter ma chance ! »
Lorsque vient le moment de choisir le parti de son engagement, alors que beaucoup la voient probablement suivre les pas de Felix, Liz Braz se décide pour le LSAP. « Il était naturellement hors de question de choisir la même chose que lui juste par principe. J’ai aimé que le LSAP englobe le climat et l’environnement dans un programme plus large de justice sociale, dans lequel je me suis retrouvée. » Une décision bien accueillie par son entourage, même si quelques vieilles rancœurs rouges envers d’anciennes décisions prises par son Vert de père lui valent encore quelques réticences au sein du parti. « Je laisse le temps au temps. Je suis sincèrement convaincue que c’est une bonne politique socialiste démocratique qui aidera tout le monde, même les moins chanceux, à traverser les crises à venir, et je concentre mon énergie sur l’essentiel : le travail ! »
Une chose est certaine : peu importe la ligne politique des quatre partis ayant tiré leur épingle du jeu lors des dernières élections législatives, il semble bien qu’ils aient tous réussi un pari audacieux : celui de motiver une nouvelle génération de femmes politiques souhaitant combiner tolérance et modernité au sein d’un avenir politique assumé. Et ça, c’est plutôt étonnant !