Au Luxembourg probablement plus qu’ailleurs, une place en crèche est souvent synonyme, dans l’imaginaire populaire, de véritable eldorado. Pour les parents déjà, qui ont réussi à sécuriser une des places tant convoitées, mais aussi pour les propriétaires que l’on imagine facilement rouler sur l’or au vu de la demande et des tarifs pratiqués. Mais tout cela est-il vraiment le cas ? Difficulté d’embauche, solutions alternatives, cohésion avec le système scolaire : un nuage se formerait-il devant le grand ciel bleu des crèches luxembourgeoises ?
Par Fabien Rodrigues
Qui n’a jamais entendu ces phrases échangées entre jeunes parents : « Pour trouver une place en crèche, on s’y est pris dès qu’on a appris pour la grossesse ! » ou encore « Vu le taux de remplissage, je n’imagine même pas combien ils doivent gagner par mois dans les crèches au Luxembourg… » : la crèche – surtout privée – reste en effet souvent synonyme de réussite dans l’image populaire que l’on peut s’en faire : celle de trouver une place pour les parents et celle, plus financière, des propriétaires et employés de structures. Mais le tableau n’est peut-être pas si rose que ça…
Public / Privé
Beaucoup de parents résidents et/ou travaillant au Grand-Duché se tournent automatiquement vers le secteur privé lors du choix d’une crèche, potentiellement parce qu’ils ne rempliraient pas les critères pour accéder à un établissement public, mais aussi parfois par simple manque d’information. En effet, les crèches publiques, gérées par les municipalités, réservent leurs places aux parents actifs et qui résident dans ladite municipalité. C’est le cas par exemple dans la capitale, où 6 crèches spécialisées accueillent quelque 300 enfants âgés de deux mois à quatre ans.
Si les origines socioculturelles de ces enfants sont très variées, la langue véhiculaire de ces structures municipales – situées à Belair, Gasperich, Merl, Bonnevoie et au Kirchberg – sont le luxembourgeois, afin de « favoriser l’intégration sociale des enfants de nationalités, langues et cultures diverses », de « renforcer la cohésion sociale dans un contexte multilingue » et de « faciliter la scolarisation future des enfants dans une école luxembourgeoise ». La Ville de Luxembourg met également en avant et entre autres la qualité de son personnel, avec par exemple « 80% du personnel diplômé́ dans le domaine socio-éducatif et spécialisé́ dans l’accueil des bébés et d’enfants en bas âge » ; ainsi que « son équipe de cuisiniers professionnels qui préparent, en collaboration avec un diététicien, des repas et des collations saines et équilibrées à partir d’aliments frais de saison, biologiques et labellisés »…
Les autres communes du pays ne sont pas en reste et proposent souvent – des plus grandes comme Esch-sur-Alzette, Dudelange ou Ettelbruck aux plus « moyennes » – des structures municipales pour leurs résidents, que l’on peut en général retrouver auprès de leur SEA (pour Service d’Éducation et d’Accueil), au même titre que les maisons relais pour les enfants scolarisés.
Ce qu’on ne nous dit pas (ou pas très bien)
Une fois cette différence fondamentale faite, et pour laquelle les informations sont encore relativement et facilement trouvables, il existe encore un de nombreuses données qui peuvent entrer dans le choix d’une crèche et paraître parfois assez nébuleuse. Par exemple, saviez-vous que des institutions comme la Croix Rouge ou encore Caritas proposent aussi des services d’accueil des enfants en crèches conventionnées avec l’État – et subventionnées par celui-ci, avec un personnel se trouvant sous le régime de l’emploi d’État ? Il existe aussi des mini-crèches, qui accueillent un nombre maximal de 11 enfants et qui disposent d’une grande flexibilité horaire, dont peuvent par exemple profiter les parents qui travaillent à horaires décalés – ce qui est de plus en plus courant dans un monde du travail post-pandémique – même si ce genre de format semble encore confidentiel pour le moment…
Ces alternatives sur le papier font en tout cas résonner une problématique bien réelle au sein des entreprises privées : l’embauche ! Car, qui l’eut cru, cet « eldorado » des crèches privées y est confronté tout comme bien d’autres secteurs. Et le parcours du combattant des parents pour trouver une place y est ainsi forcément lié. Emmanuelle Darcy, directrice des crèches Babouille (trois établissements au Luxembourg) explique clairement la situation, liée notamment aux « quotas imposés par l’état » qui agissent directement sur les politiques d’emploi : « Je ne vais pas vous l’apprendre : il est difficile, voire impossible, de concurrencer les conditions de travail offertes par les crèches publiques, structures de fait privilégiées par les professionnels qui parlent le luxembourgeois. Or, l’État impose au minimum un référent de niveau linguistique C1 en luxembourgeois dans chaque structure pour l’affilier au système du chèque-service accueil. De l’autre côté, nous avons le droit à 10% de personnel non-détenteur d’un diplôme spécialisé – comme les auxiliaires de vie par exemple – tout en prenant en compte que les diplômes français ne sont pas reconnus, alors que les belges le sont… Tout cela ne facilite vraiment pas l’embauche idéale et il faut savoir jouer en permanence avec ces quotas et ces spécificités pour pouvoir continuer à maintenir le niveau d’accueil que nous nous engageons à fournir ! ».
Un autre aspect de l’activité inhérent au statut privé et découlant de directives étatiques est l’investissement initial, un sujet particulièrement important à rappeler pour David Koensgen, secrétaire général des crèches L’Enfant Roi : « L’investissement initial de construction des infrastructures nécessaires pour être en règle avec les directives étatiques et ainsi pouvoir exercer est souvent oublié, alors qu’il représente une des grandes différences économiques entre le système public ou conventionné et le secteur privé. On parle d’un chiffre de 15000 à 20000 euros par place, ce qui est loin d’être anecdotique. Cet investissement est évidemment répercuté par la suite et demande du temps pour être amorti, ce dont ne se rendent pas forcément compte les gens. D’autant plus que, dans la conjoncture actuelle, les banques demandent un apport initial plus important pour accorder un prêt destiné à cet investissement »…
Le chèque-service accueil – et le reste…
Avec le chèque-service accueil (CSA) fourni par l’état luxembourgeois et véritable Graal pour de nombreux parents, l’enfant bénéficie d’un encadrement gratuit de 20 heures hebdomadaires, pendant 46 semaines par an – dans les services d’éducation et d’accueil (SEA) – crèches, maisons relais, mini-crèches et foyers – et auprès des assistants parentaux, à condition toutefois que la structure d’accueil soit reconnue comme prestataire CSA par le ministère de l’Éducation nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse. Mais la question se pose : à quel tarif ? Ce dernier est commun pour tout CSA : 6 euros par heure sont reversés à la crèche, qu’elle soit publique, conventionnée ou privée.
D’où une seconde question cruciale : quelle est la politique tarifaire de chaque crèche une fois cette aide étatique tarie ? Là il n’y a pas de règle et il semble judicieux de bien se renseigner, comme nous le confie cet autre propriétaire de groupe de crèche luxembourgeois : « les crèches publiques s’alignent et pratiquent en général le même tarif, soit 6 euros par heure. Dans le privé, ce tarif varie et évolue évidemment en fonction de plusieurs facteurs clés comme la localisation, la taille, les charges ou encore l’index, qui impacte surtout les entrepreneurs du secteur privé, d’où l’importance pour les parents de bien comparer en amont avant de prendre la meilleure décision pour leur enfant ».
Ici aussi, Emmanuelle Raucy est très claire : le chèque-service accueil doit absolument être réévalué pour permettre aux crèches privées de maintenir sereinement la qualité de leur accueil : « Outre les 6€ par heure d’accueil, le CSA ne couvre aujourd’hui que 4,50€ par repas par enfant, ce qui n’est plus du tout adapté au coût de la vie actuelle. Il faut penser au petit-déjeuner, au repas de midi, au goûter et aux éventuelles collations : ce montant n’est tout simplement pas suffisant. Son augmentation est une des demandes claires et insistantes de la profession et de notre fédération formulées déjà auprès du dernier gouvernement, et plus que jamais aujourd’hui auprès du gouvernement actuel ».
Une volonté sur laquelle s’aligne David Koensgen, qui y apporte une autre subtilité : « Les parents vont évidemment devoir prendre en charge la partie restante, et ils sont de plus parfois confrontés à un deuxième ‘effet kiss cool’ lorsqu’ils augmentent de tranche fiscale. Au final, ce sont eux qui font le choix d’investir dans la structure qui leur parait être la mieux adaptée à leur enfant – et qui doivent s’adapter au fil des années, alors que le financement public n’évolue plus depuis longtemps ». À ce constat s’ajoute, pour David Koensgen, une dernière question : celle de la compétence de manière plus générale. Demander au gouvernement d’intervenir certes, mais comment ? Le dossier est-il traité par des profils qui connaissent les spécificités du secteur et ce à quoi sont confrontées les crèches privées au quotidien ?
Le grand ciel bleu que l’opinion publique considère souvent être celui de ces dernières semble donc çà et là s’obscurcir de quelques nuages, qui pourraient bien gagner en taille et faire gronder l’orage sur une activité pourtant ô combien nécessaires pour les parents actifs du Grand-Duché.
Interrogé sur le sujet, le ministère de l’Éducation nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse a tenu à réaffirmer le rôle important de toutes les structures d’accueil : « Tout comme les structures conventionnées, les crèches privées forment elles aussi un pilier de l’offre éducative au Luxembourg. Grâce au système de qualité pédagogique mis en place par le ministère au niveau national pour toutes les structures d’éducation et d’accueil, les crèches privées contribuent à proposer une offre de qualité pour le développement des enfants ». On peut donc imaginer qu’il portera une oreille attentive aux futures requêtes du secteur privé, qui semble surtout souhaiter une chose importante : maintenir ce niveau d’accueil pour les enfants et contribuer de la meilleure manière possible à leur développement et à leur éducation…
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