Alors que Washington et Jérusalem ont décidé d’entrer en guerre — quoique non déclarée — contre l’Iran, la Russie poursuit tranquillement, à l’abri des projecteurs, la consolidation de ses ambitions impériales.
Par Cadfael
Trump et l’improbable pax americana
Alors que les regards sont braqués sur le Proche-Orient, l’Iran et la guerre asymétrique menée avec brio par Israël, les divergences s’accentuent entre les membres de l’OTAN et les États-Unis quant à l’interprétation des intentions de Vladimir Poutine.
Selon une dépêche de Reuters datée du 28 juin, Donald Trump, fidèle à lui-même, n’a pas hésité à relayer les flatteries de l’obséquieux Marc Rutte, secrétaire général de l’OTAN. Ce dernier a profité du sommet de l’Alliance, organisé la semaine dernière aux Pays-Bas, pour illustrer la vassalisation croissante des Européens — et les divisions qui les minent.
Le dialogue n’est manifestement pas le point fort de Trump. Certains membres de son propre camp républicain estiment que, si l’ambition du président de négocier la fin de la guerre entre la Russie et l’Ukraine peut sembler louable, il est désormais clair que Poutine n’a aucune intention sérieuse de s’asseoir à la table des négociations.
« Parvenir à un accord de paix ne peut se résumer à un tête-à-tête entre Trump et Poutine », a commenté un haut responsable britannique. « L’implication de l’Europe est indispensable. Cela suppose un véritable partage des analyses entre alliés sur les objectifs réels du Kremlin.»
L’Afrique, grand continent riche, terrain d’ombres et d’influences
Alors que l’Ukraine semble peu à peu reléguée au second plan dans le jeu diplomatique international — Donald Trump paraissant lui-même moins empressé de soutenir Kiev — le maître du Kremlin, Vladimir Poutine, ne manifeste guère d’empressement à lui offrir l’occasion rêvée d’un prix Nobel de la paix.
Pendant ce temps, loin des projecteurs braqués sur l’Est de l’Europe, la Russie continue de tisser sa toile en Afrique subsaharienne, dans une relative discrétion. Depuis l’échec de l’intervention française au Mali, les troupes régulières de Paris ont cédé la place aux mercenaires du groupe Wagner. La France, présente militairement dans la région depuis 2013, a été progressivement écartée, d’abord au Mali, puis en Centrafrique, au Burkina Faso et au Niger, à la suite de coups d’État successifs.
Le groupe Wagner — bras armé non-officiel de Moscou — s’est installé en lieu et place, poursuivant ses opérations dans plusieurs autres pays du continent, du Mozambique à la Libye, en passant par le Soudan. Un rapport de la Rand Corporation publié en mai dernier souligne que « l’exportation de mercenaires est un moyen important utilisé par la Russie pour atteindre ses objectifs ». Ces forces paramilitaires permettent au Kremlin d’étendre son influence sur le continent africain à moindre coût, tout en générant des ressources financières et en desserrant l’étau de son isolement diplomatique.
Mais cette stratégie d’implantation se double de méthodes particulièrement brutales. Des experts occidentaux rapportent que les mercenaires de Wagner se rendent tristement célèbres pour leur usage systématique de la violence : viols, tortures, assassinats ciblés… Autant de pratiques qui alimentent un climat de terreur, mais servent les intérêts géostratégiques de Moscou.
Loin d’être un simple acteur de l’ombre, Wagner incarne une mécanique cynique de puissance : intervenir là où d’autres se retirent, occuper le vide, et faire de l’Afrique non plus un terrain d’aide au développement, mais un champ d’opérations géopolitiques à peine voilé.
L’“assurance de survie” des juntes militaires
Selon une analyse de la BBC publiée en février 2024, la Russie propose désormais aux régimes autoritaires une véritable « assurance de survie », en échange d’un contrôle stratégique sur les ressources naturelles du pays concerné. Ces concessions minières permettent à Moscou de financer ses opérations, tout en stabilisant des juntes militaires initialement censées être transitoires.
À titre d’exemple, la Russie aurait extrait, entre 2022 et 2023, pour 2,5 milliards de dollars d’or africain. Une manne qui aurait directement servi au financement de la guerre en Ukraine.
Le 23 août 2023, après la mort « accidentelle » du fondateur du groupe Wagner — qui avait eu l’audace de défier Vladimir Poutine — Moscou place officiellement le groupe sous le contrôle du ministère de la Défense, et plus précisément sous la houlette du renseignement militaire (GRU), en l’intégrant à l’Africa Corps, un corps expéditionnaire désormais institutionnalisé.
Toujours selon la BBC, à la tête de cette unité se trouverait un général commandant de la très secrète unité 29155, spécialisée dans les assassinats ciblés, le piratage informatique et les opérations de déstabilisation de gouvernements étrangers — en particulier européens.
Le groupe Wagner, pour autant, n’a pas totalement disparu. Des unités discrètes continuent d’opérer en Afrique, en Asie et en Amérique latine, offrant des services de sécurité, de renseignement ou de formation dans une logique de plausible deniability (déni plausible). Ce concept, né au sein de la CIA sous l’administration Kennedy, permet aux États de nier toute implication dans des opérations menées officieusement.
La pression exercée sur les intérêts économiques et les sociétés occidentales dans cette guerre d’influence se fait chaque jour plus difficile à ignorer.
Début juin, le groupe Wagner se serait officiellement retiré du Mali. Il a été remplacé par des unités de l’Africa Corps, composées à 70 à 80 % d’anciens membres de Wagner. Légalisées, ces forces assurent aujourd’hui la sécurité, la formation militaire et la lutte contre le terrorisme au service d’une junte malienne largement décrite comme incompétente.
Selon une publication du Danish Institute for International Studies datant de janvier 2025, Wagner aurait subi une cuisante défaite face à la rébellion touarègue au Mali.
Troisième exportateur d’or du continent, avec près de 50 tonnes expédiées chaque année, le Mali — riche également en phosphate, diamants, fer, lithium, manganèse et uranium — incarne la lente conquête économique et militaire de l’Afrique par la Russie.
Plus discrètement, la Chine s’est, de son côté, imposée comme le premier partenaire commercial du continent. Ses conseillers forment des élites locales dans tous les domaines, avec pour objectif clair : sécuriser l’accès aux matières premières stratégiques.
Quant à l’Europe, longtemps gardienne d’un droit international de plus en plus piétiné, elle semble aujourd’hui perdre ses derniers leviers d’influence sur un continent qu’elle n’a pas su comprendre à temps.