Après avoir géré son atelier pendant 13 ans, Léa Sitbon a intégré, en 2015, la grande maison parisienne Poiray, immanquable à l’angle de la rue Philippe II et de la Grand-rue. Nous l’avons rencontrée.

Pouvez-vous nous raconter votre parcours?

Mon parcours n’est pas vraiment classique. Je suis passée par une école de Commerce. J’ai d’abord travaillé dans le conseil et le marketing, notamment dans le secteur des fonds d’investissement. Et puis en 2003, je pars à Tahiti. Coup de foudre pour les perles. J’ai le déclic, je décide de me lancer dans la joaillerie. Je suis plusieurs formations, en gemmologie, en joaillerie, pour enfin pouvoir créer mon propre atelier de création sur mesure. J’y travaillais l’or, l’argent, les perles et les pierres. Sophie, bijoutière joaillière, qui a toujours travaillé à mes côtés a repris la gestion de l’atelier LÉA qui continue son activité rue des Bains à Luxembourg-ville.

Et puis, il y a eu la rencontre avec Poiray.

Voilà plusieurs années que la maison française voulait s’installer à Luxembourg. Mais elle attendait un emplacement hors pair. Sitôt l’angle de la rue Philippe II et Grand-Rue libre, la célèbre maison de la Place Vendôme, Poiray, s’est installée en ville. J’en ai la responsabilité depuis juillet 2015.

Qu’est-ce qui vous a attiré dans cette maison?

Je dois reconnaître qu’il y a une grande part d’affectif dans ce choix. Je suis moi-même parisienne, comme la maison, et j’aime la richesse de la marque qui a su traverser les décennies. La maison a été créée il y a 40 ans, et a tout de suite revendiqué son côté à part, un peu avant-gardiste. Elle se caractérise par une forte influence du courant art déco, et doit son succès au côté ludique de ses bijoux interchangeables. C’était alors une idée vraiment novatrice et audacieuse, qui a assuré à la maison l’intemporalité de ses modèles.

Sa création iconique, la montre Ma Première, vient de souffler ses 30 bougies. Et pourtant, elle séduit toujours autant. Sur la base d’un boîtier montre, on peut y adapter différents bracelets sans boucle, ce qui en fait un véritable bijou à part entière. Ajoutez à cela l’incroyable éventail de cuirs, couleurs disponibles, la possibilité d’y adapter des bracelets en perles ou différentes collections capsules, cette montre se réinvente à l’infini.

Si bien que l’interchangeabilité a inspiré une bague Ma Préférence, sortie l’année dernière, où la pierre de centre peut être interchangée. Je suis fascinée par le pouvoir créatif de Poiray. Cela est notamment dû au fait que la maison a été reprise, il y a trois ans, ce qui a apporté un nouveau souffle tout en conservant l’ADN de la marque.

Quelle a été votre principale difficulté quand vous vous êtes lancée dans l’entrepreneuriat?

Elle a été d’ordre financier. Il y a un réel décalage entre ce que l’on veut nous faire croire et la réalité. À Luxembourg, l’entrepreneuriat est peu soutenu par les banques, même si elles tendent à vous faire penser le contraire. Cela n’a donc pas été toujours facile, d’autant que j’ai fait le choix d’acheter mon atelier, et non de louer.

J’ai également eu du mal à obtenir mon autorisation de commerce, du fait de mon parcours pas vraiment académique. Tout est très réglementé, ici. Mais finalement, tout est rentré assez vite dans l’ordre!

Être une femme a-t-il été un frein ou un atout?

Franchement, je ne me suis jamais posé cette question. Par rapport à des tierces parties, cela n’a jamais posé problème. La seule difficulté réside dans le fait que l’on doit gérer sa vie de famille en plus de son entreprise et jongler entre les deux n’est pas toujours évident. J’ai trois enfants, et être indépendante m’a permis de gérer ma vie de famille. Mais je reconnais qu’ils en ont passé, des dimanches avec moi, dans ma boutique du Grund. Dans un sens, cela a été une chance, car j’ai pu passer beaucoup de temps avec eux. Mais ils ont sans doute souffert que je sois aussi concentrée sur mon travail. Cela a fait d’eux des personnes très indépendantes.

Votre plus grande qualité?

Ma pugnacité. J’ai toujours poussé l’entrepreneuriat, repoussé les limites. Tant au niveau personnel que professionnel.

Votre plus grand succès?

Celui d’avoir pu acheter ma boutique.

Je suis également très fière d’avoir remporté en 2010 le concours Boost my Business, initié par Microsoft. 80 PME luxembourgeoises étaient en lice. À la clé, un sponsoring destiné à refaire son entreprise, grâce à une aide apportée par un consortium de sponsors. Cela a été un formidable soutien, d’autant que cela coïncidait avec l’achat de mon atelier. Sans cette opportunité, cela n’aurait sans doute pas été possible.

Quel conseil donneriez-vous aux femmes qui désirent se lancer?

La premier est de très bien préparer son projet, en amont: faire une étude de marché, prendre les contacts adéquats – il existe de nombreuses offres de mentoring, à présent – se faire un bon réseau. Il y a un fossé entre ce à quoi l’on aspire et la réalité de l’entrepreneuriat. Il faut y être bien préparé, croyez-moi!

Mon second conseil serait d’y croire, envers et contre tout. Une fois assurées que votre projet tient à la route, ne baissez jamais les bras, et allez au bout de l’aventure. Faites aussi ce qui vous plaît, c’est la condition sine qua non pour se lever tous les matins avec le sourire. Mais allez-y, ça vaut vraiment le coup d’y croire et de se donner les moyens d’y parvenir !