Le tourisme occupe désormais une place centrale dans l’économie de nombreuses villes, mais son essor peut menacer l’équilibre social et culturel des cités, engendrant parfois des tensions politiques graves.
Par Cadfael
La gentrification
Un phénomène sous-jacent à cette dynamique est la gentrification. Ce terme, popularisé en 1964 par la sociologue germano-britannique Ruth Glass de l’University College London, désigne un processus urbain au cours duquel des quartiers modestes voient affluer des populations plus aisées. Ces nouveaux arrivants rénovent des immeubles et transforment le tissu économique local, souvent en rupture avec l’identité sociale d’origine du quartier. Le résultat ? Une hausse des prix de l’immobilier qui pousse les résidents les plus modestes à quitter ces zones, relégués vers les périphéries. Ce déplacement forcé n’est pas sans conséquence pour les communautés urbaines, qui doivent supporter des coûts économiques et sociaux importants.L’exemple de la gentrification est particulièrement bien illustré dans la culture populaire, notamment dans un épisode de la série « South Park » diffusé le 30 septembre 2015 (saison 19, épisode 3 : The City Part of Town).
Et les fonds d’investissement.
Les dernières décennies ont vu une accélération brutale de ce processus sous l’effet de l’intervention de fonds d’investissement internationaux amplifiant le jeu local des spéculations foncières. Dans certaines zones géographiques ils visent la captation de la manne du tourisme de masse transformant des quartiers de villes en casernes locatives de courte de durée au détriment de ce qui demeure de la population locale d’origine désormais incapable de se loger décemment en raison de l’explosion des prix de l’immobilier. Une surexploitation des richesses historiques au profit de structures qui n’ont aucune attache avec le lieu d’investissement. En bout de chaîne cette situation engendre une montée de tensions sociales, des manifestations citoyennes xénophobes difficiles à ignorer. Dans un nombre croissant de villes des manifestations rassemblant des milliers de locaux elles obligent les politiciens à repenser leur modèle de développement
L’Espagne en tête des protestations
À Barcelone, où des résidents arrosent les touristes avec des pistolets à eau, la ville s’apprête à retirer la licence de quelque 10 000 logements saisonniers, prévoyant d’ici 2028 la disparition des appartements destinés aux touristes. Elle est suivie en cela par les Îles Canaries et Madrid. La ville de Valence dit stop et prend des mesures draconiennes afin de limiter les dégâts des locations saisonnières. Selon Bloomberg du 1er août, il est question d’imposer des sanctions pouvant aller jusqu’à 600 000 euros aux propriétaires de locations « clandestines ». Les locations légales devront offrir une réception disponible 24h/24, 7j/7 ainsi que l’accès à Internet pour obtenir une licence renouvelable tous les cinq ans.
En Italie, où 70 % des touristes se concentrent sur seulement 1 % du territoire, le ras-le-bol monte. Des villes comme Venise ou Rome ont vu leur quotidien sérieusement perturbé. Selon un sondage récent, 49 % des Italiens sont convaincus qu’il faut de nouvelles stratégies pour limiter l’impact du surtourisme. À Venise (50 000 résidents pour 140 000 visiteurs quotidiens), une taxe de 5 euros par personne et une limitation des groupes à 25 personnes maximum ont été imposées, ce qui, selon les habitants, ne change pas grand-chose. Un résident commente que cela transforme Venise en un zoo bon marché. La seule mesure efficace est celle qui interdit aux paquebots d’accoster en face de la place Saint-Marc. Finis les arrêts pour selfies à Portofino, les bus de tourisme le long de la côte Amalfitaine et la pause sur les marches de la Fontana di Trevi. Porter des tongs dans les « Cinque Terre » coûtera désormais 2 500 euros d’amende.
Dans le port d’Amsterdam
Il en va de même pour les Îles Canaries, les Baléares et ailleurs en Europe, comme à Amsterdam. Cette dernière mettra en vigueur sa campagne « stay away » à partir de 2026. La situation du logement, surtout pour les jeunes familles, est devenue dramatique. La ville limite le nombre de paquebots autorisés à accoster et réduit drastiquement les logements saisonniers, avec des amendes salées pour les récalcitrants. Certains quartiers d’Amsterdam sont totalement exclus des logements saisonniers, ce qui se traduit par une baisse de 30 % des disponibilités, et ce n’est pas terminé. A l’inverse de Lisbonne Amsterdam bannit tout nouvel hôtel. Le Portugal subit difficilement une libéralisation du marché du logement touristique et les conséquences de la spéculation immobilière. Une xénophobie rampante émerge face aux hausses des prix et à la destruction du tissu social.Face à des arbitrages difficiles entre les exigences macroéconomiques (le tourisme représentant souvent jusqu’à 15 % du PIB national) et des tensions politiques, beaucoup de municipalités n’ont pas le courage de villes comme Valence ou Amsterdam. Dans les années soixante, le sociologue français Pierre Bourdieu attribuait au capital culturel un rôle prédominant dans la reproduction sociale. Il soulignait que pour assurer celle-ci, l’école s’appuie avant tout sur la transmission familiale du capital culturel. Force est de constater que ce capital culturel s’en va à vau-l’eau, ce qui fait les beaux jours des extrémistes de tous bords.
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