Porter une jupe en fibre de lait. L’idée peut sembler saugrenue, et pourtant le lait constitue bel et bien une matière d’avenir. Après l’Allemagne et l’Italie, la France plancherait sur le développement de cette fibre biodégradable, qui fait déjà l’objet d’une première collection de mode signée Mossi Traoré.
Innover pour répondre à l’urgence climatique. C’est l’un des défis auxquels est confrontée l’industrie de la mode depuis plusieurs années. Et si la seconde main, le recyclage, la location de vêtements, et la réparation apparaissent comme des alternatives viables, cela doit également passer par le développement de nouvelles matières plus responsables. Résultat, on découvre depuis quelques mois des nouvelles fibres totalement inattendues, à l’instar de la toile d’araignée comme alternative à la soie, le champignon comme nouvelle matière s’apparentant au cuir, ou le pissenlit comme caoutchouc nouvelle génération. Le Centre national interprofessionnel de l’économie laitière (Cniel) et le Centre européen des textiles innovants (CETI) planchent eux sur le développement d’une matière encore plus surprenante, bien que plus accessible, la fibre de lait, qui pourrait être fabriquée à partir des tonnes de lait impropre à la consommation gaspillées chaque année dans l’Hexagone.
Une découverte vieille de 90 ans
Si elle n’est pas (encore) monnaie courante dans la mode, la fibre de lait ne compte en réalité pas parmi les dernières innovations en date en matière de fibre textile. Après des tentatives infructueuses en Europe, c’est dans les années 1930 qu’un chimiste et ingénieur italien parvient pour la première fois à créer une fibre en caséine, la protéine du lait, en vue de la substituer à la laine. Une découverte de taille qui ne s’inscrira pas dans le temps en raison de l’impact sur l’environnement des produits chimiques entrant dans sa fabrication, et de la mauvaise qualité de la fibre. Paradoxalement, c’est justement pour faire face à des enjeux environnementaux que l’on (re)parle aujourd’hui de cette fibre comme de la matière du futur…
L’idée se concrétise dès les années 2010 avec deux sociétés, l’une allemande, l’autre italienne, qui améliorent le process de fabrication pour métamorphoser de la façon la plus propre qui soit le lait périmé, ou impropre à la consommation, en textile naturel et biodégradable. Les entreprises Qmilch GmbH et Duedilatte comptent aujourd’hui parmi les pionnières en la matière, et peuvent se targuer de produire une fibre naturelle et éthique qui répond à un double enjeu : le gaspillage et le développement d’une matière plus durable. La France pourrait devenir le troisième pays à développer cette fibre, et il y a de quoi faire avec les 7,4 millions de litres de lait qui sont jetés chaque année.
La mode engagée et éthique de Mossi Traoré
Une poignée de marques a d’ores et déjà recours à la fibre de lait pour la conception de vêtements ou de pièces de lingerie, à l’instar de la marque de homewear Germaine des Prés, qui propose des culottes et nuisettes en coton de lait. Mais il n’est pas encore question de production à (très) grande échelle. Une chose qui pourrait changer sous l’impulsion du créateur de mode Mossi Traoré, à la tête du label Mossi. Ce dernier vient tout juste de présenter sur ses réseaux sociaux les premières silhouettes de sa prochaine collection capsule fabriquée à partir de… fibre de lait. Un défi relevé grâce à un travail avec le CETI et le Cniel, et un tissu provenant (pour l’instant) non pas de France mais d’Italie.
Sur son compte Instagram, le créateur revient point par point sur le processus de transformation du lait en fibre textile, expliquant qu’il est d’abord nécessaire d’isoler la fameuse caséine, avant d’ajouter un acide pour séparer les molécules de la protéine du lait de la matière liquide, puis de sécher le tout pour obtenir une poudre. C’est cette dernière qui est par la suite filée pour servir de point de départ aux vêtements. Et comme si le procédait ne semblait pas assez ingénieux, le styliste dresse également la liste des propriétés – non négligeables – de ce tissu qui s’apparente à la soie : compostable, doux, thermorégulant, ignifuge, et hypoallergénique. Que demander de plus ?
Contrairement à d’autres fibres textiles innovantes, qui ne font aujourd’hui l’objet d’aucune production de masse, la fibre de lait pourrait rapidement séduire les marques, créateurs, et autres enseignes de mode, en quête d’alternatives aux matériaux actuels bien trop polluants. Mossi Traoré a en tout cas ouvert la voie…