Texte par Fabien Grasser

Des membres du CSV accusent leur président, Frank Engel, d’avoir bénéficier d’un emploi fictif rémunéré par une association liée au parti. Ils ont porté l’affaire en justice, témoignant de l’hostilité féroce opposant les députés chrétiens-sociaux au patron de la formation. Frank Engel, qui voulait rajeunir le parti, se défend de la moindre illégalité. Il dénonce un acharnement à son égard alors qu’il briguera, en avril, un nouveau mandat à la tête du CSV.

Le conflit de moins en moins larvé qui oppose depuis deux ans les députés CSV au président de leur parti a atteint un point de non-retour mardi. Des membres du parti chrétien-social ont effectué un signalement au parquet car ils soupçonnent Frank Engel d’emploi fictif, de faux et d’usage de faux. En cause, une rémunération de 40.000 euros qu’il a perçue entre juin et décembre 2020 du Cercle des amis du CSV (CSV Frëndeskrees), une association satellite du parti, notamment propriétaire du siège de la formation, rue de l’Eau à Luxembourg. En contrepartie, Frank Engel devait recruter de nouveaux cotisants et assurer des opérations immobilières en faveur de la formation qui enchaîne les déconvenues électorales depuis 2013. Le président reconnaît avoir échoué dans sa tâche mais rappelle que le Frëndeskrees pouvait difficilement ignorer l’existence d’un contrat qu’il avait validé. « Je n’ai rien à me reprocher », se défend un Frank Engel ne disposant d’aucun mandat électif et dont la fonction de président est totalement bénévole.

L’affaire est l’aboutissement d’une série de règlements de compte entre les caciques de la formation et son iconoclaste président, élu à la tête du CSV en janvier 2019. L’ancien député européen, au parcours singulier dans un parti conservateur, avait alors recueilli les faveurs de la base militante, au détriment de Serge Wilmes qui bénéficiait du soutien des barons du CSV. Ce changement de cap intervenait après l’échec de Claude Wiseler à reconquérir le pouvoir lors des législatives de 2018, un scrutin dont il était donné grand favori. Conservant sa place de premier parti du pays en nombre de suffrages et de députés, le CSV n’était cependant pas parvenu à inverser la vapeur face à la coalition formée par le DP, le LSAP et déi gréng.

Un électron libre, sans langue de bois

Frank Engel promettait de rajeunir l’image d’un parti vieillissant qui a largement dominé la vie politique luxembourgeoise depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Se réclamant d’un style plus « cool », ce juriste de formation entendait accorder une place plus importante aux militants ou encore se positionner fortement sur les questions environnementales. L’homme, âgé aujourd’hui de 46 ans, donne rarement dans la langue de bois et n’est pas vraiment du genre à se laisser faire. Ses vues tranchent dans un parti de « notables » lui reprochant son comportent d’électron libre.

L’an dernier, sans même consulter la fraction parlementaire, il s’était prononcé pour une plus grande justice fiscale, plaidant pour le rétablissement de l’impôt sur la fortune, l’imposition des successions immobilières en ligne directe et la mise en place d’une taxe sur les transactions financières. Une hérésie pour les 21 députés CSV, dénonçant des positions en contradiction avec l’ADN du parti. Fin août 2020, on ne donnait pas cher de sa peau mais il s’était finalement excusé face au comité exécutif, à l’issue d’une réunion extraordinaire qui avait passé l’éponge pour épargner un CSV toujours en perte de vitesse.

Seul candidat à sa succession

Ce n’était que partie remise. Et l’offensive publique lancée ces derniers jours par les députés relève d’un procédé assez inhabituel au sein du CSV, habitué à laver son linge sale en famille. « On ne peut pas toujours essayer de tout balayer sous le tapis » s’est justifiée, mercredi sur RTL, Martine Hansen, la chef de file des députés conservateurs. En toile de fond, se profile le congrès national du parti à qui il reviendra de désigner, le 24 avril, son prochain président pour les deux ans à venir. Or, à ce jour, Frank Engel est seul à s’être officiellement porté candidat à sa succession.

A bien des égards, l’affaire du Frëndeskrees ressemble à un torpillage de sa candidature et nul doute que d’autres prétendants sortiront bientôt du bois. Pour l’instant, Frank Engel ne veut pas renoncer mais en dira davantage lors d’une conférence de presse en fin de semaine. Un nouveau coup d’éclat n’est pas exclu. Il dénonce un acharnement à son encontre et un sabordage du parti. Un point de vue partagé jusque dans les rangs du CSV.

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