Par Cadfael
L’hiver, son froid et ses longues nuits représentent une période de stress pour les réseaux d’approvisionnement en énergie électrique. Une coupure générale serait un cauchemar. En France, les gestionnaires de réseaux assurent tous les ans qu’il n’y aura pas de black-out. En Autriche on s’y prépare. La semaine dernière, les administrations civiles et militaires ont fait des manœuvres d’un type particulier: elles ont testé, au Tyrol, leur résilience en cas de black-out total du pays et des réseaux européens.
Un risque réel
L’Europe dispose du système considéré comme le plus fiable au monde. Malgré tout, d’après certains spécialistes, les probabilités que cela arrive dans les cinq ans sont de 100%. Au début de l’année dernière, l’Europe a subi un test de résistance grandeur nature non voulu par les gestionnaires européens d’électricité. Selon les médias allemands et autrichiens, durant l’après-midi du 8 janvier l’Europe des Balkans a exporté beaucoup d’électricité en direction de l’Europe Centrale qui était alors en demande. Les réseaux croates, serbes et roumains, en revanche, se retrouvaient avec un surplus d’énergie. Cette désynchronisation entre demande et production a amené des surcharges sur certains réseaux et des nécessités de délestages sur d’autres. Le journaliste et youtubeur Hugo Lara, spécialisé dans la question d’énergies renouvelables, décrit la situation de la manière suivante :
« L’évènement du 8 janvier 2020 a fait que l’Europe de l’Ouest s’est retrouvée scindée en deux zones suite à une défaillance dans une sous-station de 400 kV en Croatie. En 43 secondes, les systèmes de sécurité ont automatiquement séparé le continent en deux, empêchant tout échange. L’évènement a été corrigé en une heure par les gestionnaires de réseaux, notamment en coupant l’alimentation de gros consommateurs comme les industries en Italie et en France.”
En Autriche, afin de lisser ce déséquilibre, toutes les centrales thermiques furent mises en marche. Les choses se sont rétablies lentement selon des schémas européens prévus pour ces situations.
Des réseaux fragilisés ?
La situation idéale serait que la demande et la production soient équilibrées afin de maintenir les réseaux stables. Mais voilà, avec le changement vers les énergies renouvelables, il n’est pas simplement question de pomper toute l’énergie électrique produite par des milliers de sous-stations dites vertes dans les réseaux. Il n’est pas possible de stocker de l’électricité en vue d’une consommation à venir, les gestionnaires de réseaux ont fort à faire afin de maintenir la stabilité des réseaux entre offre et demande.
Le nombre d’incidents de stabilisations sur les réseaux autrichiens en 2020 était de 261. Afin de lisser les variations de tension, ils démarrent des centrales à gaz spécialement prévues à cet effet. Ainsi, les coûts de distributions auraient été multipliés par cinq en cinq ans. Une partie notable de ces coûts sont induits par les politiques de transition d’énergie, soulignent les spécialistes de l’université technique de Vienne.
Les Suisses se préoccupent également d’un risque grandissant de black-out. Comme l’écrit « bilan.ch » en date du 12 mai dernier « des entreprises électriques suisses identifient comme premier risque à court terme la surcharge des réseaux très haute tension, vieillissants, susceptibles de « conduire à des déclenchements en cascades et ainsi au black-out ». Parmi les causes invoquées, les « très fortes variations de production liées à un recours massif aux productions instables telles que l’éolien ou le photovoltaïque », dans un contexte de hausse du transit transfrontalier. Le réseau suisse, par lequel transite l’électricité des parcs éoliens et solaires allemands (30 GW de puissance) vers l’Italie, est de ce fait très exposé aux fortes variations du renouvelable. Un risque de black-out jugé croissant en Europe, avec un coût potentiel pour la Suisse de plusieurs milliards.
En cas de black-out total, le schéma considéré comme le plus probable serait le suivant : en premier lieu une perturbation majeure se propage sur les réseaux européens et des générateurs de secours se mettent en route. C’est ce qui est arrivé en janvier 2020 et qui a été maîtrisé en 43 secondes. Si cela persiste, on se trouve face à des réseaux de télécom qui se coupent, des systèmes domestiques qui ne fonctionnent plus, des centrales de distribution de gaz et d’eau qui se mettent en vrille, les systèmes informatiques de banques et les pompes à essence seront pratiquement inutilisables. Le temps de remise en marche sera proportionnel au temps de coupure. Le pire des scénarios prévoit un endommagement des chaînes de conservation et de distribution de nourriture.
D’après les spécialistes, ce sont d’abord les centrales classiques qui sont remises en marche : les centrales hydro-électriques couplées à des barrages et les centrales thermiques. On réduit l’alimentation des industries grosses consommatrices ensuite graduellement le reste. L’Allemagne avait préparé un projet de loi qui prévoyait entre autres les coupures des stations d’alimentation de voitures électriques grosses consommatrices d’énergie. Cette loi a été mise aux oubliettes à la suite du lobbying fait par l’industrie automobile selon le magazine Focus.
Et le Luxembourg ?
En cas de crise globale européenne, chaque pays serait d’abord livré à lui-même, précise le site de l’ORF, la radiotélévision autrichienne, en date du 21 janvier dernier. Une entraide entre voisins est probablement prévue. Le 2 septembre 2004, une panne géante a touché le Luxembourg et ses banques. La cause était une coupure de la ligne d’importation depuis l’Allemagne. Le Luxembourg importe 80% de sa production majoritairement de RFA. Selon les spécialistes, le réseau est rendu fragile par l’absence de connexion avec la France. Gageons que nos responsables ont tout prévu et qu’en cas de problème majeur notre Premier ministre saura où aller frapper pour limiter les dégâts.