Chaque mois, Le Billet de L’effrontée s’impose comme un espace de courage et de vérité brute. Portée par la plume incisive d’Alice Welter, journaliste féministe engagée, cette rubrique donne la parole à celles que l’on a trop souvent réduites au silence : les femmes victimes de violences, d’injustices ou de discriminations systémiques. Dans ce lieu de parole sans compromis, la peur change de camp. Les récits sont crus, bouleversants, vrais, mais jamais vains : ils portent en eux la force d’une prise de conscience collective et le souffle d’un espoir nouveau.
Rédaction : Alice Welter
De manière légale ou clandestine, les femmes ont toujours avorté, et avorteront toujours. Au Luxembourg, le délai légal pour une IVG est de douze semaines de grossesse. Le pays a récemment annoncé abolir le délai de réflexion obligatoire de trois jours entre la consultation et l’IVG. Alba* tombe enceinte en 2024, et telles des millions de femmes avant elle, décide d’avorter. C’est son corps, son choix, comme l’énonce le célèbre slogan féministe. Pourtant, c’est un parcours semé d’entraves qui l’attend. Des souvenirs douloureux, qu’elle tente depuis d’oublier, mais dans lesquels elle a accepté de se replonger pour alerter, et dénoncer des pratiques encore trop courantes.
Mi-2024. Alba fait un test de grossesse. La jeune femme de 26 ans découvre qu’elle est enceinte. Elle ne veut pas d’enfant, son partenaire de l’époque non plus : « On était tout de suite d’accord sur le fait qu’on ne voulait pas le garder. Nous n’étions ensemble que depuis deux mois. »
Alba décide donc de chercher un gynécologue le plus rapidement possible. La course contre-la-montre est enclenchée. Elle met quatre jours à trouver un rendez-vous. Arrivée chez le praticien, la jeune femme lui explique la situation. Il réalise une échographie, et lui demande de revenir dans deux semaines, parce qu’il est « trop tôt ». Selon lui, la grossesse doit se développer un peu plus pour pouvoir pratiquer l’IVG. Alba rentre chez elle et prend son mal en patience.
L’attente est longue, angoissante, mais le jour du rendez-vous arrive enfin. Elle s’installe dans le cabinet, se fait examiner. D’abord soulagée, elle déchante rapidement lorsque le gynécologue lui annonce qu’il ne pratiquera pas d’IVG. Elle prend alors conscience de son manège. « Il ne m’avait pas prévenue qu’il ne la ferait pas. À la dernière séance, il m’avait montré les médicaments à prendre ». Le médecin l’envoie ailleurs, à Pro Familia, qui d’après lui, pourra l’aider.
Alba sort du rendez-vous, déboussolée. Deux semaines et demie se sont écoulées depuis son test de grossesse. Elle se rend dès que possible à Pro Familia. Là encore, c’est la douche froide. « Arrivée sur place, on m’a demandé qui m’avait envoyée ici, que c’était complètement faux qu’ils s’occupaient d’IVG. » Face à sa détresse, l’employée lui trouve un rendez-vous en urgence chez un gynécologue.
Quelques jours plus tard, Alba rencontre le nouveau médecin. « Ce gynécologue m’a complètement détruite. » Sans détour, il l’interroge d’un ton condescendant : « Mais qu’est-ce que vous faites ici ? » « Il me demande limite en rigolant si j’ai l’attestation qui prouve que j’ai réfléchi trois jours », se souvient-elle. Alba n’en possède pas, il lui rétorque qu’il ne l’aidera pas. « Il m’a fait comprendre qu’avorter, c’était immoral. Il m’a dit que même si l’avortement était maintenant légal, ça restait un acte criminel. »
Trois semaines se sont écoulées depuis son test de grossesse, et le gynécologue lui dit de se rendre au planning familial. Retour à la case départ. Heureusement, au planning, elle sera accueillie avec bienveillance : « On m’a enfin prise au sérieux. » Une semaine plus tard, donc plus de quatre semaines après avoir découvert qu’elle était enceinte, l’IVG a lieu. « C’est horrible de savoir qu’on a quelque chose qui grandit dans notre corps, et de ne pas savoir où aller. »
*Prénom modifié pour préserver l’anonymat
Découvrez d’autres témoignages
- Visitez le compte instagram de L’effrontée : @l_effrontee_
Article initialement publié dans le Femmes Magazine numéro 267 de juin 2025.