L’avenir des 200 salariés de l’usine de galvanisation de Dudelange, rachetée en 2019 par Liberty Steel, est assombri alors même que leur activité est rentable. En cause, les montages financiers acrobatiques et l’endettement excessif du groupe sidérurgique de Sanjeev Gupta, lancé dans une frénésie de rachats depuis 2013. Pour sauver le site et ses emplois, l’Etat pourrait entrer au capital de l’usine par le biais de la Société nationale de crédit et d’investissement.

L’usine Liberty Steel à Dudelange va-t-elle continuer à verser les salaires de ses employés au-delà du 31 mai ? La question se pose avec d’autant plus d’acquitté qu’aucune solution ne semble émerger pour sauver le groupe sidérurgique fondé par Sanjeev Gupta, en grande difficulté depuis l’annonce, le 8 mars dernier, de la faillite de Greensill Capital, son principal financier. 

Interrogé sur l’avenir des 200 salariés du site luxembourgeois par le député CSV Laurent Mosar, le ministre de l’Economie avait assuré le 6 mai, à la Chambre des députés, que les salaires du mois de mai seraient payés, mais sans préciser ce qu’il adviendrait ensuite. Aussi l’élu chrétien-social est-il à nouveau monté au créneau ce mercredi pour s’inquiéter, dans une question parlementaire urgente, d’une situation qui s’est encore « aggravée dernièrement ». Quelque trois-quarts des salariés sont désormais en chômage partiel faute d’approvisionnement car les fournisseurs sont réticents à livrer les usines d’un groupe au bord de l’effondrement financier. 

Moins de deux ans après son rachat avec des promesses de 100 millions d’euros d’investissements, Dudelange voit à nouveau son avenir s’assombrir. La situation est d’autant plus ubuesque que le site luxembourgeois est rentable, la qualité de ses produits galvanisés pour l’automobile et l’électroménager rencontrant une forte demande. C’est aussi le cas d’autres entités du groupe en Europe, comme l’usine de rail de Hayange en Lorraine, l’usine d’aluminium de Dunkerque, dans le Nord de la France, ou encore de sites rachetés par Liberty Steel au Royaume-Uni.

Rachat massif d’usines

Cette situation paradoxale est le fruit d’une fuite en avant dans l’endettement, mise en œuvre par Gupta Family Group Alliance (GFG Alliance) pour constituer, en peu de temps, un empire mondial présent dans la sidérurgie à travers Liberty Steel, mais aussi dans l’énergie, l’extraction minière, la banque, l’immobilier. Et explique l’ascension spectaculaire de Sanjeev Gupta, fondateur et dirigeant du groupe : depuis 2013, cet homme d’affaires anglo-indien, âgé de 48 ans, a massivement racheté des usines en Europe, aux Etats-Unis et en Australie, devenant un acteur majeur de la sidérurgie. GFG Alliance revendique 20 milliards de dollars de chiffres d’affaires et 35.000 salariés dont les emplois sont aujourd’hui menacés par les acrobaties financières de leur patron. 

Dans un premier temps, Sanjeev Gupta avait racheté à bon compte des sites au bord de la faillite avant de changer de dimension, en 2019, en se portant acquéreur de six usines européennes qu’ArcelorMittal était contraint de vendre au nom des règlements européens sur la concurrence.  Pour mener à bien toutes ses acquisitions, Sanjeev Gupta s’était principalement appuyé sur Greensill Capital, une fintech londonienne spécialisée dans les prêts à court terme aux entreprises. Mais le 8 mars dernier, le château de carte s’effondrait avec la faillite de cette dernière, mettant à nu la fragilité et l’opacité financière de GFG Alliance. Le groupe doit cinq milliards de dollars à Greensill et a commencé à faire défaut sur ses remboursements. 

Cette annonce a déclenché un scandale politique au Royaume-Uni, l’ancien Premier ministre David Cameron étant mis en cause pour son lobbying en faveur de Greensill et GFG Alliance ayant bénéficié de 400 millions de livres de prêts garantis par l’Etat britannique dans le cadre de la crise sanitaire. Au Luxembourg, Liberty Steel aurait de même bénéficié d’un prêt garanti de 20 millions d’euros, ce qui a permis d’assurer le fonctionnement de l’usine de Dudelange au cours de cette dernière année. 

Enquête pour fraude et blanchiment

Quoi qu’il en soit, depuis la faillite de Greensill, Sanjeev Gupta tente de rassurer syndicats et gouvernements européens en affirmant qu’il trouvera de nouveaux financeurs. Mais cette perspective s’éloigne d’autant plus que la semaine dernière le Serious Fraud Office (SFO), le parquet financier britannique, annonçait l’ouverture d’une enquête pour « fraude, commerce frauduleux et blanchiment d’argent » contre GFG Alliance. Pas vraiment de quoi inspirer la confiance de potentiels investisseurs.

Au Luxembourg, les services du ministère de l’Economie, en charge du dossier, nous assure qu’ils sont toujours en négociation avec Sanjeev Gupta et « toutes les parties prenantes ». Mais le 6 mai, devant les députés, le ministre Franz Fayot reconnaissait que d’autres options sont sur la table pour tenter de sauver Dudelange. La piste la plus sérieuse envisagée à ce jour est une entrée de l’Etat au capital de l’usine par le biais de la SNCI (Société nationale de crédit et d’investissement), une solution qui aurait l’adhésion des syndicats. 

Lors de son intervention, le ministre a également évoqué le risque d’une faillite qui aboutirait à la fermeture de l’usine. « Ce serait vraiment le worth case », a lancé Franz Fayot. Le pire des scénarios alors que les salariés ont déjà vu leur actionnaire changé à quatre reprises au cours des 20 dernières années. 

Fabien Grasser