Le chancelier allemand a fini par plier face aux pressions, renonçant au droit de veto allemand concernant la livraison de chars lourds Leopard 2 à l’Ukraine. Pressurisé de toutes parts, sa politique de temporisation se solde par un échec personnel face à la réalité implacable.

Par Cadfael

Dr No

Lors de la rencontre de la cinquantaine de pays composant le groupe de contact pour la défense de l‘Ukraine, vendredi dernier sur la base militaire de Ramstein, la position de Scholz était, comme d’habitude, de temporiser en matière de livraison de chars lourds Leopard 2 à l’Ukraine. La presse anglo-saxonne lui a donné le surnom de Dr No, le nom du méchant dans le premier film mettant en scène James Bond. Selon le chroniqueur allemand Martin Klingst, « les hésitations et la rhétorique maladroite donnent l’impression que l’intérêt du gouvernement réside essentiellement dans le fait que l’Allemagne s’en sorte sans grands dommages » et de rappeler que le pays est le quatrième exportateur mondial d’armes qui n’hésite pas à envoyer du matériel lourd dans des régions de crise. Il souligne que le gouvernement fédéral n’était jamais trop respectueux avec la rigueur de son propre code d’exportations d’armes.

Seraient-ce les prières du patriarche moscovite Kirill, le patron de l’Église orthodoxe russe, qui auraient intimidé Scholz ? Le 19 janvier dernier, dans un sermon tenu à l’occasion de l’épiphanie, le saint homme déclarait, en s’adressant à ceux à ceux qui veulent « vaincre la Russie » : « Nous prions le Tout-Puissant d’avertir ces fous et de les aider à comprendre que tout désir de détruire la Russie signifie la fin du monde ».

Pourquoi des chars lourds ?

Les Russes ont selon les observateurs occidentaux perdu un millier d’engins blindés divers. Afin de colmater cette brèche, ils seraient en train de déployer des chars lourds T90 S, une version sophistiquée du T90 conçu a l’époque de la guerre froide. Les chars lourds en usage chez les Ukrainiens datent et sont souvent composés de matériel russe issu de stocks des anciens états du pacte de Varsovie, maintenant membres de l’OTAN. Afin d’être à niveau, ils désirent obtenir des chars lourds dont trois modèles sont opérationnels en Europe : le français Leclerc, l’américain Abrams M1 et le Challenger II anglais dont Londres va envoyer 14 unités à l’Ukraine. Le Leopard 2 allemand est objet de tous les désirs de l’état-major ukrainien. Il a été conçu spécifiquement pour combattre le char russe T90. Ses projectiles sont capables de traverser un blindage russe à une distance de 4 kilomètres. Il y en aurait pratiquement 2000 en service et selon les contrats de cession, pour pouvoir les réexporter vers des pays tiers, il faut l’accord formel de Berlin.

Biden s’y mettrait

Selon le New York Times du mardi 24 janvier, Biden serait prêt à annoncer l’envoi de 30 à 50 chars Abrams en Ukraine, message fort en direction de la chancellerie allemande. Les Américains ont expliqué leur impossibilité de livrer rapidement des chars Abrams. Selon eux la complexité et la sophistication en matière de formation et de maintenance sont un facteur difficile à ignorer. La problématique est analogue du côté français où le nombre d’unités disponible du Leclerc, sans mettre à mal une défense déjà amaigrie par manque d’investissements, est faible. Scholz qui faisait dépendre sa décision de celle des Américains a levé ce mercredi son veto démontrant ainsi la grande dépendance de la RFA par rapport à Washington. Selon ABC news l’attitude de Scholz bloquait 12 pays. Les Polonais pour leur part avaient fait savoir que, quelle que soit la réponse de Berlin, ils transféreront 14 Leopard à l’Ukraine. Le ministre de la défense luxembourgeois, dont les origines politiques viennent de l’extrême gauche trotskiste post-soixante-huitarde, a très diplomatiquement envoyé son chef d’état-major à Ramstein sous prétexte que le Luxembourg ne possédait pas de chars.

Le sommet des ministres des Affaires étrangères de l’UE à Bruxelles de ce lundi n’a fait que renforcer la cacophonie dominante. Jean Asselborn ministre des affaires étrangères luxembourgeois a eu beaucoup de mal à défendre son camarade social-démocrate Scholz. Lors d’une interview au journal télévisé de la chaîne ZDF lundi soir, il a déclaré avoir rappelé à ses collègues que « l’ennemi n’était pas Scholz, mais Poutine » tout en soulignant que la RFA était actuellement le plus grand fournisseur de l’Ukraine en termes financiers. Avant que Scholz ne cède, les industriels du groupe Rheinmetall qui produit les Leopard s’y mettaient également. Ils ont fait savoir qu’ils pouvaient envoyer 29 Leopard 2 jusqu’en avril/mai de cette année et 22 de plus pour fin 2023 ainsi que 88 unités d’une version plus ancienne, sans préciser de date.

Une nouvelle étape

Après cette longue partie de poker menteur comme la qualifiait un journaliste français, les fractures au sein de la coalition en charge à Berlin sont devenues manifestes : les verts, qui occupent le ministère des Affaires étrangères, avaient déjà fait savoir que Scholz ne pouvait pas dire non. Les instances dirigeantes du parti socialiste allemand avaient ces derniers jours révisé leur doctrine en se distançant d’un pacifisme romantique. La réalité montre que l’adage romain « si vis pacem, para bellum » reste plus que jamais d’actualité. Même la très neutre Suisse vient d’autoriser le « réexport” de ses armes vers l’Ukraine.