Les périodes de fin d’année sont propices pour se refaire une beauté et rafraîchir sa garde-robe. La démocratisation de la mode, permettant à toutes et à tous d’être encore plus jolis et plus sexy, a un prix.
Par Cadfael
Une croissance stupéfiante
Apparue dans les années 70, l’industrie du fast fashion a vu sa croissance s’accélérer dans les années 90. Ce sont les maisons de mode européennes, toutes catégories confondues, qui ont ouvert la boîte de Pandore. Elles délocalisaient leur production dans des pays asiatiques à bas coûts. Dans un article du New York Times de 1990, le terme “fast fashion” fait son apparition. Il désigne la réalisation d’un vêtement en 15 jours, du design à la vente au détail. Ayant doublé de volume entre 2010 et 2015, le secteur enregistre cette année une augmentation de plus de 11 % par rapport à la même période de l’année précédente. Avec un chiffre d’affaires estimé à 136 milliards de dollars pour 2024, cette croissance devrait continuer, selon les économistes.
Et des coûts secondaires lourds
Trop souvent, une communication marketing sophistiquée noie tout sentiment de responsabilité envers la planète dans un discours philosophique très “bobo”, destiné à donner bonne conscience. La facture environnementale et humaine est lourde et sans équivoque. Ceux qui le méritent le moins payent le plus : ce sont ceux en début de chaîne, à la production, et ceux en fin de vie du produit, au recyclage. Le fast fashion pollue et détruit à des niveaux phénoménaux.
Selon le Parlement Européen, les Européens « consomment en moyenne près de 26 kg de textiles par an et en jettent environ 11 kg. Les vêtements usagés peuvent être exportés en dehors de l’UE, mais la plupart (87 %) sont incinérés ou mis en décharge. » Il y a deux ans, l’ONG Earth.org constatait que l’industrie de la mode était responsable de 10 % des émissions mondiales de CO2, soit autant que les voyages aériens et le transport maritime réunis, qui atteignent difficilement 5 %. Cela représente 270 kg d’empreinte carbone par personne, rien que pour s’habiller. Pour l’ensemble de l’Union Européenne, cela équivaut à 121 millions de tonnes. Elle consomme 93 milliards de m² d’eau, avec des rejets pollués. La fabrication d’un T-shirt nécessite 2 700 litres d’eau fraîche imprimer “save the planet” ne change rien). Cela représente les besoins en eau potable d’une personne pendant 2,5 ans. Et comme si cela ne suffisait pas, « le lavage des produits synthétiques entraîne l’accumulation de plus d’un demi-million de tonnes de microplastiques au fond des océans chaque année. La pollution générée par la production de vêtements a un impact conséquent sur la santé des populations locales, des animaux et des écosystèmes où se trouvent les usines », selon le Parlement Européen. Il convient d’y ajouter des violations systématiques des droits de l’homme, en particulier pour les productions dans certaines régions de Chine, comme le Xinjiang.
GHANA, un exemple parfait
Cette république africaine de 35 millions d’habitants importe chaque semaine 15 millions de vêtements usagés. Le site de Kantamanto est considéré comme la plus grande plateforme mondiale de négoce de vêtements de seconde main. Kantamanto donne du travail à 30 000 personnes. La majeure partie de ces vêtements provient des États-Unis, d’Europe, en particulier du Royaume-Uni, et de Chine. Ils sont conditionnés en balles pesant entre 55 et 90 kilos. Chaque unité est négociée entre 75 et 100 dollars, sans que leur contenu soit connu. Une fois ouvertes, un tri est fait, et le contenu est revendu à la pièce à des détaillants ou des designers qui pratiquent l’upcycling. Un trader gagne dans le meilleur des cas 10 dollars par semaine et doit souvent s’endetter à des taux de 35 % pour se lancer.
Avant l’invasion du fast fashion, l’intégralité d’une balle était recyclable. Aujourd’hui, 40 % des vêtements vont directement aux déchets car inutilisables, soit via des canaux légaux, soit dans des décharges sauvages. À trois kilomètres de Kantamanto se trouve la plus grande décharge du pays, une communauté de 80 000 habitants, construite en grande partie sur des strates de vêtements usagés provenant de Kantamanto. Les eaux de pluie entraînent la pollution jusqu’à Accra, la capitale, et aucune plage n’est exempte de déchets textiles. Le même scénario se reproduit dans le désert de l’Atacama, au Chili, qui est le plus grand importateur de vêtements de seconde main en Amérique du Sud (Wired.com, 13.1.24).
Comment ces vêtements atterrissent-ils à Kantamanto ? Yayra Agbofah, une jeune femme en colère qui a fondé l’ONG “The Revival” en 2016, l’explique : « Les vêtements censés être recyclés tombent entre les mains de profiteurs qui les envoient sur des marchés de seconde main comme Kantamanto. Non triées, non utilisables, les balles arrivent au Ghana. Tout le monde en profite, sauf les traders de balles qui portent en plus la responsabilité finale de leur élimination. » Le but de sa communauté est d’attirer l’attention en créant des emplois dans l’art et la mode par l’upcycling des textiles rejetés par le reste du monde (www.therevival.earth). Ici, l’économie circulaire n’est pas l’une de ces discussions de cercles d’économistes distingués. C’est une nécessité vitale, vécue depuis des décennies par des communautés qui veulent vivre dans la dignité et ne pas être happées par l’anonymat de la misère.
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