Qui a dit que les stéréotypes liés au genre n’étaient qu’un lointain souvenir dans l’industrie de la mode ? Si les adultes profitent aujourd’hui de quelques collections unisexes – ou no gender – les enfants composent eux toujours avec les mêmes clichés. Une nouvelle étude réalisée en Allemagne révèle même que la mode enfantine ne cesse d’alimenter et d’encourager les stéréotypes de genre. Explications.

Il suffit de se rendre dans un supermarché ou une enseigne de prêt-à-porter pour découvrir – ô joie – que les vêtements pour enfants ne se concentrent pas dans un seul et même rayon. Une séparation bien nette cultive la distinction entre les espaces réservés aux filles et aux garçons. L’avantage, s’il en est un, c’est qu’il est difficile de se perdre entre ces deux univers, le premier se distinguant généralement par une explosion de rose, le second par une vague de bleu. Un constat fait au rayon habillement, comme au rayon jouets, si ce n’est que le second sépare de quelques mètres poupées et voitures. 2022, ou comment la segmentation des genres, sur laquelle repose le marketing genré, est loin d’avoir dit son dernier mot.

Rose et bleu, les couleurs de la discorde

Une étude menée par la data journaliste Marie-Louise Timcke, et publiée dans le quotidien allemand Süddeutsche Zeitung, s’est penchée sur la question pour en avoir le coeur net. Avec ses pairs, l’experte a analysé pas moins de 20.000 chemises et shorts vendus chez des enseignes comme H&M, Zalando, et About You, et destinés à des enfants âgés de moins de dix ans. Imprimés, couleurs, longueurs, coupes… Tout a été passé au crible, et le verdict semble sans appel : “La mode enfantine actuelle consolide les représentations de genre”, conclut Marie-Louise Timcke sur son compte Twitter.

Si l’on s’intéresse aux couleurs de ces vêtements pour enfants, c’est le bleu qui domine chez les garçons, toutes enseignes confondues, tandis que – ô surprise – le rose fait autorité chez les filles. On peut donc cocher la case ‘validé’ pour ce cliché vieux comme le monde que l’on espérait pourtant dépassé. Les conclusions de l’enquête vont même encore plus loin : “près d’une chemise destinée aux filles sur deux est rose. Cette représentation est la plus extrême dans la collection de H&M”, assure l’analyste de données.

Prédestinés rêveuses ou aventuriers

Alors que filles et garçons cultivent depuis longtemps – pour ne pas dire toujours – des passions communes, les imprimés censés apporter une touche de fun à ces vêtements enfantins prouvent que la frontière entre les genres est plus solide qu’il n’y paraît – et que les clichés sur le style de vie de chacun ont la vie dure. Côté filles, les termes les plus utilisés sont “love”, “girl”, “sunshine”, “smile”, “dream”, ou encore “dreamer”, autrement dit le vocabulaire de la parfaite rêveuse. Du côté des garçons, on retrouve plutôt des mots relatifs à l’aventure ou au sport, avec un accent porté sur le surf, à l’instar de “aloha”, “wave”, “explore”, “fast”, “coast”, ou “crew”. Deux salles, deux ambiances. Non contente de distinguer clairement les genres, la mode enfantine nourrit bel et bien certains stéréotypes qui n’ont pourtant pas lieu d’être.

Ultime analyse, et non des moindres : la longueur des vêtements. S’il semble évident que garçons et filles de moins de 10 ans devraient pouvoir accéder aux mêmes coupes et formes de chemises et de shorts, il n’en est rien dans la pratique. Loin de là ! “Nous avons empilé et comparé des milliers de shorts pour enfants provenant de chez H&M, Zalando et About You. La différence de longueur est nette : en moyenne, un short pour filles de 30 cm de large est six cm plus court qu’un modèle pour garçons. Et ce, malgré le fait que le corps des enfants ne diffère guère à cet âge. (…) Le fait que les shorts des filles soient plus serrés et plus courts est simplement le résultat de la mode et de la socialisation”, souligne la spécialiste.

L’étude nous apprend également qu’il est impossible, sinon très difficile, de trouver certains vêtements déclinés avec tel ou tel imprimé, comme des chemises de nuit ornées de dinosaures, des jupes à l’effigie du football, ou encore des shorts cargo recouverts de licornes.

“Dans la logique de ces marchés, les filles sont avant tout des petites femmes; pour elles, les vêtements doivent plaire. Et les garçons sont censés être tout excepté des ‘filles”, conclut Marie-Louise Timcke.