Sous la pression d’une génération montante, en attente de marques socialement responsables et représentatives de l’humanité dans sa diversité, le secteur bouscule ses propres codes et multiplie les audaces. 

Le Vogue américain vient de sortir son numéro de janvier 2021. Quatre couvertures au choix, dont une qui fait le buzz : on y voit Paloma Elsesser, mannequin américaine de « grande taille » dans une pose sensuelle, assumée. Le mois précédent, ce fut un homme seul, une première pour le titre, avec le chanteur star Harry Styles, vêtu d’une robe de bal Gucci. Que le magazine de mode le plus puissant au monde finisse 2020 et commence 2021 avec ce genre de Unes, voilà qui démontre que la mode s’est plus que jamais remise en question cette année, et souhaite un nouveau départ plus exemplaire. « New beginning, new world », titre fièrement le Vogue US – et dans ce « nouveau monde », il est certain que les questions de diversité et d’inclusivité seront centrales. 

L’inclusivité, pas seulement une affaire de visibilité

Il s’agit de considérer tout le monde de la même façon, et de donner à chacun une visibilité bien réelle. Et dans le secteur de la mode, nous savons tous que ce ne fut pas toujours le cas. Les mannequins filiformes, et on pourrait rajouter de peau blanche, sont encore très majoritaires dans le secteur. Le souci de l’inclusivité ne date pas de 2020 mais remonte à bien plus longtemps. Jean-Paul Gaultier et John Galliano affirmaient déjà dans plusieurs de leurs défilés mythiques que « la mode venait bien de la rue ». Ces deux dernières années, les mannequins de peau noire, de plus en plus nombreuses sur les podiums, sont devenues des it-girls très demandées. Une manière de résurrection.

Et cette évolution marque le début d’un cheminement vers l’acceptation de la diversité humaine au sens large ; les filles avec des problèmes de peaux, comme la mannequin Winnie Harlow atteinte de vitiligo, ou plus récemment les femmes « size plus » en sont de bons exemples.

Mais l’inclusivité ne consiste pas seulement à choisir comme égérie une femme de peau noire ou une métisse. Il s’agit aussi d’adapter son discours : comprendre son grain de peau ou son type de cheveux, pour lui donner les meilleurs conseils ; c’est aussi bien sûr s’assurer que son salaire soit égal à celui de ses consoeurs. Pour y parvenir, on assiste à un début d’organisation comme en octobre 2020, avec la création au Royaume-Uni de la « Fashion Minority Alliance », qui vise à représenter et défendre toutes les minorités dans le milieu de la mode. Son manifeste est clair : « Veiller à ce que l’intersectionnalité de toutes nos différences soit transformée de manière positive, responsable, durable et à long terme dans notre industrie. »

Rihanna à l’avant-garde

En 2016 déjà, Rihanna avait lancé le mouvement, assez seule, avec sa marque Fenty, rachetée depuis par le groupe LVMH, en créant du maquillage pour tout type de peau, à travers 50 nuances de fonds de teint par exemple, et une ligne de lingerie pour tout type de morphologie, jusqu’à les faire poser et défiler, dans de véritables spectacles. Parallèlement, on note qu’un autre show de lingerie célébrissime, celui de Victoria’s Secret, n’a pas eu lieu. Signe des temps ? Les anges de Victoria’s Secret seraient-ils trop loin de la réalité ?  Certainement, car le chamboulement de 2020 n’a fait qu’accélérer les choses. Avoir le sentiment d’appartenir à un groupe, une communauté, une marque de mode et pouvoir plus que tout s’identifier… voici les nouvelles attentes des consommatrices. En beauté, MAC, Sephora ou même Dior ont emboîté le pas à Fenty Beauty, en créant une plus large gamme de maquillages adaptés aux différents types de peaux.

Pour les nouvelles campagnes de l’été 2021, qui vont commencer à déferler dans les magazines, autant le prêt-à-porter que l’univers de la lingerie proposent plus que jamais des femmes différentes, d’Etam à Ysé, de H&M à Fendi. Elles pourraient être nos soeurs, nos voisines, nos collègues… Quelque chose a changé et s’est définitivement installé. On ne pourra désormais plus considérer une marque et ses produits sans vraiment se demander si elle nous représente ou représente le monde dans lequel on vit.

Certaines influenceuses poussent le concept un peu plus loin encore, comme l’Américaine Natasha Polis qui a demandé pour Halloween 2020, à ses amies instagrammeuses, de poser en héroïnes Disney (#PlusSizePrincessProject) malgré leurs mensurations. Afin justement de manifester le manque de diversité dans plusieurs domaines confondus, comme le cinéma. 

Au-delà du genre et des canons de beauté reconnus

Même dans les grandes maisons de luxe, les choses bougent, peut-être un peu plus cette année. Quand Louis Vuitton fait appel pour ses défilés, plus que jamais en 2020, à des mannequins jouant entre féminité et masculinité, quand Gucci – dans sa mini-série coréalisée avec Gus Van Sant et dévoilée en novembre dernier – choisit comme personnage principal l’artiste au corps androgyne Silvia Calderoni… Pour d’autres, il est question de demander à son entourage de venir défiler, comme chez Xuly Bët ou Koché, afin de voir de « vrais gens » dans de « vrais vêtements ».

Côté mannequins, Jill Kortleve et Paloma Elsesser sont bien les tops de l’année… Elles sont rondes, ont des courbes et surtout représentent l’image du « body positive ». La silhouette Chanel que l’on retient pour l’été 2021 : le pantalon ample rose avec sa brassière noire, porté par Jill, qu’on retrouve d’ailleurs dans des looks phares chez Valentino, Fendi, Alexander McQueen ou encore Coperni. Tout comme Paloma Elsesser, avec son allure de femme fatale chez Fendi ou Versace. Jusqu’à la couverture du Vogue US de janvier 2021.

Bien sûr qu’il y a là un effet de tendance. Ces mannequins ont de bons agents qui les placent aux bons endroits. Mais cela serait aussi nier que le mouvement de fond est entamé. Ne pas  être inclusif sur un défilé est aujourd’hui risqué, critiquable, nuisible. Pour une marque ou une grande maison, qui vise comme futurs consommateurs les « refreshers » (ces jeunes de 20-25 ans qui prennent conscience des enjeux du futur et des changements sociétaux), être inclusif est devenu une nécessité. 

Il ne sera désormais plus possible de faire marche arrière. Les mannequins avec des jambes longues de 1,20 m auront autant de place sur les podiums que les quidams, femmes ou hommes, de tous types de peaux, de corps, de morphologies et de genres. Prendre en compte à tous les niveaux leurs différences et proposer le même type de service, d’habillement ou de salaire est bien la prochaine étape. L’inclusivité est en marche, ou serait-ce tout simplement un regain d’humanité ?

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