Alors que les magazines féminins à travers le monde scandent des discours toujours plus féministes, que l’on tente de faire céder le fameux plafond de verre, le Grand-Duché a choisi de céder à la politique de l’autruche. Filmer sous les jupes des filles ? Pas punissable par la jurisprudence luxembourgeoise. Si la loi présente clairement un manquement qui joue à la faveur de ce jugement, il n’empêche que les mentalités, sous couvert de grands discours pseudo-féministes, ne sont pas prêtes de changer.
Faites le test. Raccourcissez votre jupe de cinq petits centimètres – rien de plus, conservez chaussures plates et oubliez-le décolleté – et observez les réactions dans la rue.
Une question de centimètres ?
Au mieux, vous aurez droit au regard insistant de la gent masculine qui « apprécie » la marchandise. Il y aura les sifflements, les sourires entendus, les faux compliments libidineux – « mademoiselle vous êtes charmante », et autres petites sentences du même acabit – quand ce ne sont pas des propos grossiers et outrageux, voire offensants. Vous conviendrez très vite qu’il n’en faut pas davantage pour susciter des remarques désobligeantes et déplacées. Et oubliez, par la même occasion, que ce genre de comportement n’est réservé qu’à certaines catégories socio-professionnelles. Que les clichés sont véhiculés par les représentants de la génération des baby-boomers et que la génération Y est plus ouverte d’esprit. Non. Ainsi, un perfide « on n’est pas à Hollerich, ici » a ainsi été entendu de la bouche de trois jeunes hommes – à peine la trentaine, costumes élégants et bien coupés – aux alentours de 23 h à un arrêt de bus du centre-ville de la capitale. La tenue en question portée par la jeune femme incriminée d’enfreindre les bonnes mœurs ? Une mini-jupe certes, mais un chemisier boutonné jusqu’au col et une paire de sneakers aux pieds.
Dans un tel contexte, comment ne pas évoquer les commentaires auxquels se sont laissés aller les commentateurs de la chaîne de télévision France 2 sur la longueur de la jupe du tailleur bleu ciel dessiné par Nicolas Ghesquière pour Louis Vuitton que portait la nouvelle Première dame Brigitte Macron, lors de son arrivée au palais de l’Élysée, le 14 mai dernier lors de l’investiture de son mari : « notez la jupe assez courte pour le protocole ». Une remarque présupposée anodine, qui a ouvert les vannes, autorisant dès lors la presse à commenter les tenues de madame Macron, souvent jugées trop peu protocolaires, voire « légères ».
Aussi comment ne pas s’insurger et y voir la un statu quo des mentalités qui n’est pas de bon augure, à une époque où les femmes entendent pouvoir disposer de leur corps comme bon leur semble ?
Pire encore, les remarques – et les regards – les plus acerbes sont encore ceux de ses consœurs, comme on a pu le lire dans les lignes du magazine Grazia : en effet, selon l’une des chroniqueuses de l’hebdomadaire français, l’épouse d’Emmanuel Macron serait comparable à une « cagole marseillaise » : « Moi, j’aime bien Brigitte Macron, comme tout le monde sans doute, un peu par populisme, comme on aime l’Eurovision », me dit un ami à Marseille, sur le port. On a vu une cagole passer, la conversation a dérivé vers notre Première dame (…) Parce qu’elle a le côté un peu réconfortant de la cagole, Brigitte, celle qui est trop fardée sans être trop bourgeoise, rassurante par son âge et son métier.»
Serions-nous face à une régression des mentalités et des mœurs ? Aussi insupportable que cela nous semble, force est de constater que la société n’est pas encore prête à franchir le pas vers l’égalité.
Les reliquats d’une société patriarcale ou le refus d’aller de l’avant ?
Si cela peut nous sembler (relativement) loin voire anecdotique, comment ne pas évoquer le récent fait divers, qui, étrangement est largement passé sous silence. Début septembre, la Justice luxembourgeoise a ainsi classé sans suite les plaintes contre un homme qui, depuis cinq ans, prend un malin plaisir à filmer, à l’aide de son téléphone portable, sous les jupes des femmes lorsqu’il prenait le bus. Relaxé et libre, le quidam pourra donc encore s’adonner à son occupation favorite. Choquant ? Pas selon la loi sur la protection de la vie privée datant du 11 août 1982 punit quiconque porte volontairement atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui en « observant ou faisant observer au moyen d’un appareil quelconque, une personne se trouvant dans un lieu non public, sans le consentement de celle-ci ». Or si cette dernière est interprétée dans son sens strict, les transports en commun ne pouvant être considérés comme des lieux publics, le parquet considère dès lors ne pas être en mesure de punir le présumé coupable pour voyeurisme.
Un manquement grave que n’ont pas manqué de relever plusieurs politiques de tout bord, à l’instar des députés Sylvie Andrich-Duval et Gilles Roth, qui ont dès le lendemain de la publication de cette décision de justice déplorable, ont interpellé le ministre de la Justice, Félix Braz, comme l’ont rapporté nos confrères du quotidien luxembourgeois Wort : « Le comportement « voyeurisme », fondé sur l’attirance à observer l’intimité d’une personne sans interaction du voyeurisme avec la victime, constitue souvent une forme grave de harcèlement sexuel et moral. Cette agression est dirigée notamment contre les femmes se trouvant dans un lieu public ou privé, celles-ci ignorant souvent qu’elles sont observées. » Même son de cloche au LSAP, toujours selon nos confrères, pour lequel la députée Claudia Dall’Agnol s’est exprimée, s’indignant de la non-transparence sur les questions du harcèlement et du voyeurisme au Grand-Duché, invitant ainsi la chambre dé députés à légiférer de toute urgence sur cette question très sensible : « Ne conviendrait-il pas de modifier le Code pénal luxembourgeois afin de combler ce vide juridique et punir ainsi de tels actes ? » Pourtant, le président du même parti déclarait dans la foulée à l’Essentiel.lu que « les députés avaient la possibilité de légiférer. Cependant, on ne peut pas régler un cas particulier avec une nouvelle loi ».
Si le ministre de la Justice concède le caractère punissable de la loi, nous sommes donc aujourd’hui en droit de nous demander s’il va falloir attendre que ce monsieur récidive, ou passe à un stade aussi et aille jusqu’à commettre des actes plus graves pour que les pouvoirs en place réagissent et prennent des mesures nécessaires.
Plus grave encore, un tel désintérêt – que ce soit des pouvoirs en place, des médias ou de l’intérêt public, même qui ne semble pas s’en offusquer davantage – n’est que le reflet d’un pouvoir à la mentalité sclérosée, conditionnée par des siècles et des siècles de pouvoir patriarcal, et qui semble fort bien se complaire dans ce modèle que l’on sait archaïque. Dans un tel contexte, il nous reste donc plus qu’à espérer que les imminentes élections communales du 8 octobre prochain soient l’occasion pour les politiques en lice à ouvrir le débat et à, enfin, faire preuve de progressisme.