Depuis son arrivée en tant que directeur artistique, Matthieu Bracq s’est imposé comme l’une des belles surprises de la scène mode : des lingeries pensées pour toutes les femmes, les hommes raffinés, les amoureux… Enfin, une collection inclusive. Sa nouvelle campagne pour la collection Printemps-Été 2024 s’inspire du livre Fragments d’un discours amoureux de Roland Barthes. Des phases de la vie qui nous parlent. Derrière ce projet audacieux et visionnaire, le père et le fils Matthieu Bracq. Rencontre.
Photographies : Robin Lempire
Quel est votre parcours et le rôle que vous jouez au sein de la Maison Bracq ?
Je suis directeur artistique et creative director de Louisa Bracq, maison de lingerie haute couture. Et par la même occasion, le petit-fils de Louisa Bracq. J’ai commencé mes études secondaires en arts graphiques à Saint-Luc Tournai. J’avais un attrait pour tout ce qui était communication et visuel. C’est durant mes études que j’ai découvert l’univers de la mode ; j’ai apprécié le côté très complémentaire, à la fois sur la création produit et sur la continuité du travail.
“Je voulais offrir un nouveau regard impactant, une nouvelle façon de consommer, plus fashion, moins dans l’esprit des dessous. Une véritable envie de construire un look à travers la lingerie”
J’ai également été attiré par la communication visuelle à travers les campagnes publicitaires. J’ai déménagé à Paris, pour faire l’école de la Chambre syndicale de la couture qui est l’équivalent de l’IFM (Institut Français de la Mode). Puis, une formation de modéliste toiliste, c’est à dire pour un savoir-faire axé sur le prêt-à-porter haute couture. J’ai toujours baigné dans cet univers, grâce à la société familiale. J’y ai évolué sans trop m’y projeter au départ.
À la suite de ces études-là, j’ai intégré la société familiale, avec une marque déjà existante, car mon père et mon oncle avaient créé la marque de lingerie dans les années 2010. C’était un hommage à ma grand-mère. Nous sommes devenus totalement autonomes dans la création et la production, nous faisons ça en famille. En 2013, je devais m’occuper de la partie technique pour évoluer dans la direction artistique. J’avais envie d’insuffler une image de mode pour la lingerie puisque c’était et c’est un milieu orienté très commercial, très cliché et constant. Je voulais offrir un nouveau regard impactant, une nouvelle façon de consommer, plus fashion, moins dans l’esprit des dessous. Une véritable envie de construire un look à
travers la lingerie.
Vous réalisez toutes vos campagnes seul ?
Je réalise seul, donc je suis multicasquette. Je gère toute la partie atelier et développement de produits, en résumé toute la partie technique. En ce qui concerne la création, elle se fait en binôme avec mon père. Je suis designer produit et mon père est vraiment designer textile. C’est lui qui va peaufiner les dessins de broderie, pour l’aspect technique que comporte la broderie, notamment dans son élasticité. Et cela a un grand impact sur le fil.
On est aussi spécialisés en grandes tailles, jusqu’à la lettre K pour certains modèles, il y a donc besoin d’avoir une expertise technique propre dans la broderie pour maintenir le fil.
Comment le livre Fragments d’un discours amoureux de Roland Barthes a-t-il influencé votre approche créative, pour cette campagne printemps/été 2024 centrée sur l’amour ?
C’est une opportunité d’avoir de multiples terrains de jeux, en gamme homme et femme. C’était intéressant d’avoir une interaction entre les deux sexes et ne pas toujours avoir la femme dissociée de l’homme.
Plus tard, j’aimerais pouvoir pousser sur les différentes représentations sexuelles que ça soit lesbien ou gay, c’est vraiment quelque chose que je souhaiterai représenter. C’est un symbole fort !
Comment avez-vous traduit cela visuellement dans votre nouvelle campagne ?
C’était toutes les scènes de la vie que l’on voulait mettre en action. Il y a des scènes plus dures à imager que d’autres. Mais nous avons relevé le défi. On a voulu représenter ça comme le déroulement d’une journée classique. Un peu comme une maison de vacances, où un couple s’était isolé. On a créé des mises en scène avec des jeux de rôles avec les mannequins, c’était amusant à réaliser. On a créé plusieurs séquences sur un terrain de tennis, etc. Et la personne réagissait en fonction de l’endroit où elle se trouvait.
Y avait-il une carte à jouer dans la lingerie grande taille ?
L’offre actuelle sur le marché de la lingerie propose un produit très visuel, mais spécifiquement pour les petites tailles. Et dès qu’on monte en taille, on quitte cet esprit de séduction un peu plus sophistiqué. Et c’est là où il y avait une carte à jouer. C’était aussi une façon de proposer à la cliente d’autres morphologies. Nous avons deux types de consommatrices, l’achat coup de cœur et l’achat de nécessité, ainsi nous avons essayé de combiner les deux. Parce que la personne qui fait du 95H va d’office être orientée dans le basique sans séduction. De ce fait, nous voulions développer toutes nos créations jusqu’à cette taille-là pour compléter une offre. Et permettre aux femmes un peu plus rondes de trouver quelques modèles audacieux et sophistiqués.
Votre vision de la lingerie pour hommes serait-elle une voie possible pour faire évoluer les mentalités ?
Oui, car nous avons un grand avantage dans la famille, c’est notre ouverture d’esprit. Mon père a le sens de la transmission et envie que les générations futures développent la vision de base, dans quelque chose d’autre. Il a un regard moderne parce qu’il fonctionne comme un créateur et comme un visionnaire. Il souhaite élargir l’offre de la lingerie basique. C’est à travers cette richesse familiale que se développent les projets parallèles avec une envie d’apporter du renouveau. C’était évident pour nous qu’il y ait cette association, qu’on puisse toucher l’homme grâce à la diversité de nos créations. On peut s’exprimer sur d’autres supports, d’autres modèles, d’autres publics. On développe la notoriété de la marque encore confidentielle auprés du grand public.
Comment cela a-t-il été accueilli par les consommatrices de la marque ?
On a vraiment eu un partenariat avec nos détaillants retail, boutiques multimarques de lingerie. L’aspect collaboratif est décisif quand on communique, on ne le fait pas dans un monocanal. On livre dans le monde entier. Et dans certaines régions, on peut trouver des sceptiques, mais de manière générale, il y a un certain engouement pour cette marque. On a une histoire riche et de la matière, et la consommatrice se concentre vers des marques qui ont une histoire. On a quelque chose de nouveau et de réfléchi. On offre une thématique et un message et c’est ce que les partenaires mettent en avant.
Y a-t-il des designers qui vous ont marqués ?
Pour toute la partie mise en scène et théâtrale, je citerai : Alexander McQueen. Et tout ce qui est création de concept et produit pur, j’avoue avoir été influencé par la Maison Margiela, qui est plus dans l’esprit minimaliste.
Comment sans cesse se renouveler sans essouffler sa créativité ?
Je viens de province, je suis fils unique et j’ai grandi avec une mère malade, qui avait une sclérose en plaques. J’ai eu une enfance très isolée. Pendant cette grande période difficile, je me nourrissais de ce que je pouvais voir et entendre, comme la musique et la lecture. Aujourd’hui, je continue encore de me nourrir de ces influences. Elles m’ont permis de développer ma curiosité, de nourrir et renforcer mes connaissances, quitte à les répéter, à les réinterpréter. C’est ce qui définit mon ADN créatif.
Travaillez-vous sur une nouvelle collection ?
Oui, on développe pour Louisa Bracq la collection Printemps-Été 2025. Elle sera présentée courant juin et juillet 2024. Depuis plusieurs années, nous avons une ligne directrice très audacieuse et expérimentale. Aujourd’hui nous souhaitons axer nos collections sur le luxe. Nous souhaitons davantage augmenter la vision luxe de la marque. Nous ciblons une clientèle raffinée, qui aime la finesse. Une nouvelle communication se développe, mais nous préférons rester flous sur cette partie afin de ne pas tout vous dévoiler.
Avez-vous des évènements particuliers prochainement ?
Bien sûr, nous serons présents aux salons internationaux à New York, Toronto et Munich ainsi qu’en Angleterre. Généralement, les salons nous permettent de rencontrer nos prospects. De plus, nous organisons des événements dans notre showroom à Bruxelles, le Studio Louisa Bracq.
Découvrez toutes ses créations sur le site de la marque !