La mission de Frontex, la plus grande agence de l’Union européenne est « de promouvoir, de coordonner et de développer la gestion des frontières de l’Union européenne en ligne avec la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et de réaliser le concept d’une gestion européenne intégrée des frontières.». Secouée par les scandales serait-elle devenue le symbole d’une gestion européenne devenue incontrôlable ?
La descente aux enfers
Frontex, ce sont plus de 700 personnes au siège de l’agence à Varsovie, et entre, 1000 et 1500, souvent détachés de leur corps national, sur terre ou sur mer. S’y ajoute une réserve de réaction rapide d’environ 1500 personnes définies par les états selon une clef remise à jour périodiquement.
Son directeur exécutif, l’énarque français Leggeri, a démissionné fin avril. Sa gestion qui durait depuis 2015 se résumait à un désastre en matière d’image de marque et de respect du droit. Leggeri clame son innocence en criant à la cabale antifrançaise selon le quotidien « Le Monde ».
Sa gestion chaotique l’a mené devant le Comité des Libertés civiles du Parlement européen et devant l’Ombudsman européen. On lui reproche entre autres des applications répétitives et brutales de « push back » largement dénoncées dans la presse européenne. La politique du « push back » consiste à donner la position de bateaux de réfugiés directement aux sinistres garde-côtes libyens ou à repousser un bateau plein à craquer de réfugiés en haute mer en violation de tous les droits dont pourraient bénéficier des réfugiés. Selon « Deutsche Welle » Frontex a à son actif 22 expulsions illégales représentant 957 personnes sur 18 mois rien que dans la mer Égée sur une période allant jusqu’à septembre de l’année dernière, souvent avec l’aide active des garde-côtes grecs.
La fine équipe autour de Leggeri s’est retrouvée visée par une enquête en matière de respect des droits de l’homme et pour obstruction à la mise à disposition de documents concernant les droits de l’homme et le traitement réservé aux réfugiés.
Les pratiques de recrutement au sein de Frontex ont été épinglées par la presse européenne qui les qualifie de « chaotiques et indignes des candidats » aux postes. Les enquêteurs notent une résistance active au recrutement de 40 fonctionnaires en charge des droits fondamentaux comme le prescrit la législation européenne. La presse grecque parle d’un département ressource humaine « comiquement incompétent ».
Des enquêtes et une descente de police
En 2020 on voit des demandes de destitution de la part des groupes de gauche au parlement européen. Parallèlement l’OLAF, l’organisme antifraude de l’UE a ouvert une enquête sur l’utilisation de fonds européens de 100 millions pour l’achat de drones et sur des irrégularités concernant l’acquisition de logiciels. S’y rajoute un chapitre sur de nombreux contacts non déclarés avec des lobbyistes dont certains en matière d’armement et une absence notoire de groupes de défenseurs des droits de l’homme à ces réunions comme le veut droit européen.
En décembre 2020 a eu lieu une descente de police dans les bureaux de Leggeri et de son adjoint Thibauld de La Haye, ce dernier s’étant fait remarquer pour sa proximité avec l’extrême droite, pour « harcèlement, conduite indélicate et apologie du push back ». Il s’était fait une réputation selon le « Spiegel » allemand pour ses insultes envers ses subordonnées et les pertes de contrôle de soi.
Une nouvelle étape ?
Depuis le 1er juillet de cette année, une fonctionnaire lituanienne exerce la direction intérimaire de Frontex. Saura-t-elle remettre le bateau à flot après les années d’errance. Avec un budget de 754 millions d’euros en 2022 (535 millions en 20021/ 360 millions en 2020), Frontex est l’agence qui pèse le plus sur le porte-monnaie du contribuable européen. Ce dernier mérite que le fonctionnement et ses dépenses de Frontex soient transparents. Frontex, selon les experts, nécessite une refonte en profondeur pour faire face à ses missions qui dans le contexte de la guerre d’Ukraine prennent une nouvelle dimension.
En octobre 2021, les membres du parlement européen ont décidé de geler 90 millions de ce budget en attendant que l’agence arrête ses pratiques d’obstruction, devienne transparente en matière de droits de l’homme, de recrutement et d’achat de matériel. Les députés exigent l’embauche de 30 agents pour la surveillance du respect des droits de l’homme et de 2 directeurs exécutifs adjoints « suffisamment qualifiés ». Une puissante ONG suisse a demandé un referendum afin que la Confédération arrête de financer Frontex. Celle-ci est le principal contributeur de Frontex avec 61 millions de FS par an. La nouvelle directrice a promis un changement de culture au sein de cette organisation. Les 40 gardiens de droits de l’homme seraient en place fin novembre.
Beaucoup de questions, peu de réponses
La Gestion de Frontex pose bien des questions sur la gestion des agences de l’UE en général. Au vu de son historique, Frontex mérite un audit complet et un dégraissage de structures. On s’attend à une exemplarité de conduite pour une agence qui devrait être une carte de visite de l’Union européenne en matière de traitement de la question des réfugiés.
A la présidence de la Commission, c’est le calme plat face à l’ennuyeuse question de Frontex et des réfugiés que l’on préfère voir croupir dans les camps turcs ou libyens avec l’aide des finances de Bruxelles, plutôt que de les avoir sur le sol européen. Le fait de les voir se noyer en Méditerranée ne résoudra rien au problème. L’Europe a un devoir de les recueillir dignement avant de statuer sur leur avenir. Il y a parmi les réfugiés des éléments criminogènes, des terroristes, des inadaptables aux cultures européennes. Cela ne doit pas être une excuse pour les traiter de la manière dont l’Europe le fait, juste pour que les vestes de membres de la Commission demeurent sans tache. L’Europe dispose de suffisamment d’agences nationales de sécurité les plus diverses pour s’occuper de ce problème de « tri ».