Quelques surprises, peu de prises et un jeu de chaises musicales: le nouveau gouvernement français n’a bousculé qu’à la marge les équilibres.
“Déclaration de guerre”
Fidèle à sa réputation de “disrupteur”, Emmanuel Macron est parvenu à créer la surprise en nommant la chiraquienne Roselyne Bachelot à la Culture et le pénaliste Eric Dupond-Moretti à la Justice.
Pour l’avocat lillois, la tâche s’annonce ardue tant il a su s’attirer de solides inimitiés dans la magistrature au cours d’une carrière jalonnée de quelque 145 acquittements. Si sa nomination a été bien accueillie par les avocats, la présidente de l’USM, syndicat majoritaire chez les magistrats y a vu “une déclaration de guerre”. “Nommer une personnalité aussi clivante et qui méprise à ce point les magistrats, c’est une déclaration de guerre à la magistrature”, a ainsi affirmé Céline Parisot.
Le nouveau garde des Sceaux a en outre récemment annoncé sa volonté de déposer plainte après que le parquet national financier a épluché ses factures téléphoniques.
Le risque est également grand pour Roselyne Bachelot, devenue une habituée des plateaux de télévision et une figure médiatique populaire – y compris à gauche – après son retrait de la vie politique en 2012. Galvanisée lors de la crise du Covid-19 pour avoir vu sa politique de précaution au ministère de la Santé lors de l’épidémie H1N1 finalement saluée après dix ans de critiques, elle pourrait apparaître à nouveau clivante dans un ministère réputé difficile.
Deux super-ministères
En récupérant le Budget en plus de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire devient le tout-puissant patron de Bercy, chargé de la “Relance” à l’aune d’une crise économique et sociale sévère. Il obtient en outre trois ministères délégués : les Comptes publics, l’Industrie et les PME.
Barbara Pompili, ex-EELV passée à La République en marche, est propulsée à la Transition écologique, ministère auquel sont désormais rattachés les Transports et le Logement. “On voit bien que les recommandations de la Convention citoyenne pour le climat ont été retenues”, juge Pascal Perrineau, analyste politique. Mais, estime-t-il également, “c’est davantage perçu comme une sanction pour Élisabeth Borne (qui occupait jusqu’alors ce poste) qu’une promotion pour Barbara Pompili”, dont les preuves restent à faire.
Reste que l’architecture du gouvernement, un temps promise à être redessinée en plusieurs grands pôles, n’est modifiée qu’à la marge. Les observateurs notent toutefois la création d’un ministère de la Mer, réputé stratégique à l’heure du Brexit.
Le cas Darmanin
Âprement discuté durant toute la journée de lundi, le portefeuille de l’Intérieur a finalement échu à Gérald Darmanin. Après Jean Castex à Matignon et Bruno Le Maire à l’économie, “c’est une manière claire de donner à des personnalités issues de la droite des postes régaliens”, selon le politologue.
Une promotion qui déclenché de nombreuses réactions sur les réseaux sociaux. Réélu dès le premier tour maire de Tourcoing, Gérald Darmanin fait l’objet d’une enquête préliminaire pour viol, rouverte le mois dernier. Il a, en outre, également fait l’objet d’une plainte pour agression sexuelle et abus de faiblesse en 2014, classée sans suite.
Si l’entourage du président affirme que cette enquête “n’est pas un obstacle”, une pétition a été ouverte. De nombreuses associations féministes et de lutte contre les violences faîtes aux femmes ont également pris la parole pour dénoncer ce qui apparaît comme une insulte pour toutes les victimes de violences sexuelles et sexistes. “Darmanin, qui fait l’objet d’une plainte pour viol est nommé premier flic de France alors même que 82% des victimes de viol ont mal vécu leur dépôt de plainte, c’est lui qui va montrer l’exemple ?” a ainsi commenté l’association Osez le féminisme, avant d’ajouter : “La grande cause du quinquennat n’a jamais été plus insultée, méprisée, moquée que ce soir. La France, pays masculiniste”.
Chaises musicales
Certains poids lourds conservent leur portefeuille, avec parfois des attributions élargies : Jean-Yves Le Drian reste aux Affaires étrangères, Jean-Michel Blanquer, également pressenti pour briguer l’Intérieur, reste à l’Education, Florence Parly aux Armées, Jacqueline Gourault à la Cohésion des territoires, Frédérique Vidal conserve son poste de ministre de l’Enseignement supérieur, Marc Fesneau celui des Relations avec le Parlement et Jean-Baptiste Djebbari aux Transports.
D’autres anciens des gouvernements Philippe demeurent, mais évoluent dans de nouveaux ministères : Elisabeth Borne est nommée ministre du Travail, Sébastien Lecornu de l’Outre-mer, Julien Denormandie passe à l’Agriculture, Annick Girardin à la Mer, Amélie de Montchalin devient ministre de la Fonction publique, Franck Riester, autrefois à la Culture, devient ministre du Commerce extérieur, Emmanuelle Wargon au Logement, Olivier Dussopt, des Comptes publics, Marlène Schiappa, qui était secrétaire de d’Etat à l’Egalité Homme-Femmes, passe à la Citoyenneté, sous la houlette de Gérald Darmanin et Gabriel Attal remplace Sibeth Ndiaye en tant que porte-parole du gouvernement.
LREM à la peine
Plus surprenant en revanche, les “marcheurs” historiques, qui ont accompagné Macron depuis sa campagne électorale, sont les moins bien lotis : Christophe Castaner et Sibeth Ndiaye ont notamment été évincés, même si cette dernière a fait savoir qu’elle avait refusé des postes de ministre déléguée pour “convenance personnelle”.
“Emmanuel Macron constate que LREM (La république en marche) n’a pas su générer de poids lourd. Pour les trois grosses fonctions, on continue de se tourner vers des personnalités de droite”, fait valoir Pascal Perrineau, analyste politique, qui anticipe “une moindre place de LREM dans la majorité”.
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