Brûlures, démangeaisons, pertes anormales… L’inconfort intime touche de nombreuses femmes. Pourtant, le fonctionnement de notre flore vaginale reste souvent flou, entre idées reçues et fausses croyances. Pour démêler le vrai du faux, nous avons rencontré le Professeur Philippe Judlin, gynécologue-obstétricien spécialiste des pathologies infectieuses gynécologiques. Il éclaire, sans tabous ni jugements, les vraies causes des infections vaginales et les bons gestes à adopter.
Interview réalisée par Alina Golovkova
Pourquoi dit-on que les infections vaginales sont plus fréquentes en été ?
Je ne suis pas certain qu’il y en ait objectivement plus, mais deux facteurs les favorisent : les voyages, souvent associés à des rapports sexuels avec de nouveaux partenaires et l’humidité liée à la chaleur, propice notamment aux mycoses. Le champignon en cause, le candida, adore les milieux chauds et humides.
Le port prolongé du maillot de bain mouillé est-il vraiment un facteur de risque ?
En réalité, c’est un mythe. Les piscines, les toilettes publiques ou le port du string n’ont pas d’influence notable sur une flore vaginale équilibrée. Tout se joue en interne : soit il s’agit d’infections sexuellement transmissibles (IST), soit – et c’est la majorité – de déséquilibres du microbiote vaginal, que l’on appelle des dysbioses qui peuvent diffuser jusqu’à la vulve et donner des symptômes.
Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est ce microbiote vaginal ?
Comme l’intestin, le vagin est peuplé de micro-organismes. À 90 %, ce sont des « bonnes » bactéries appelées lactobacilles. Elles protègent le vagin contre les agents extérieurs et contre la prolifération des espèces minoritaires. Si elles disparaissent ou diminuent, cela permet à d’autres germes (parfois venus du partenaire ou du périnée) de proliférer. C’est ce déséquilibre qui provoque infections et inconforts.
Quelles sont les formes les plus fréquentes de déséquilibre de la flore vaginale ?
Il y en a deux principales. La première est la mycose : un champignon prolifère faute de contrôle, entraînant brûlures, démangeaisons, pertes épaisses. Ce n’est ni sexuellement transmissible ni contagieux. La seconde est la vaginose bactérienne, plus fréquente mais souvent asymptomatique. Elle se manifeste parfois par des pertes grisâtres et des odeurs désagréables.
« Les antibiotiques, le tabac, le stress et le diabète favorisent les déséquilibres vaginaux. »
– Professeur Philippe Judlin, gynécologue-obstétricien spécialiste des pathologies infectieuses gynécologiques
Quels sont les facteurs qui fragilisent cette flore ?
Les excès d’hygiène, comme les lavages vaginaux avec des antiseptiques, sont une vraie catastrophe : ils détruisent les lactobacilles. Les antibiotiques, le tabac, le stress, le diabète ou encore un manque d’œstrogènes (chez les femmes ménopausées ou sous certaines pilules) peuvent également déséquilibrer la flore.
Peut-on prévenir ces déséquilibres ?
Il faut surtout éviter de trop en faire. Pas de lavages internes, pas d’antiseptiques sans raison. Arrêter de fumer, éviter les antibiotiques qui peuvent l’être et identifier une possible carence en œstrogènes sont de bons réflexes.
Et les probiotiques ? Sont-ils efficaces ?
Ils l’étaient ! Jusqu’en 2021, on utilisait des probiotiques vaginaux contenant des lactobacilles vivants, très efficaces. Mais la réglementation européenne a changé, interdisant les organismes vivants dans les dispositifs médicaux. On se retrouve sans alternatives vraiment efficaces pour l’instant. Ceux par voie orale sont peu utiles, car trop faiblement concentrés pour la part arrivant au niveau du vagin.
Des alternatives en vue ?
Oui, des probiotiques nouvelle génération sont en développement, cette fois classés comme médicaments. Mais leur mise sur le marché prendra encore quelques années. En attendant, on utilise des prébiotiques, des sucres qui nourrissent les lactobacilles restants pour favoriser leur croissance. C’est mieux que rien, mais pas miraculeux.
Les femmes ménopausées ou enceintes sont-elles plus concernées ?
Les femmes ménopausées ont souvent un manque d’œstrogènes, ce qui appauvrit leur flore. On peut alors proposer des traitements hormonaux locaux. Les femmes enceintes, elles, font plutôt des mycoses, car la grossesse modifie l’immunité locale et favorise le développement fongique.
Faut-il systématiquement consulter en cas de gêne ?
Pas toujours. Une femme qui connaît bien son corps, peut se traiter en automédication si elle reconnaît les signes typiques d’une mycose, en se procurant un traitement vendu en pharmacie. Si les symptômes persistent, il faut consulter pour faire un prélèvement. En revanche, la vaginose étant plus discrète, elle passe souvent inaperçue… ce qui est problématique car elle augmente le risque de contracter des IST, y compris le VIH.
Justement, constate-t-on une recrudescence des IST ?
Absolument. On a vu trois phases : avant le sida, les IST étaient fréquentes. L’arrivée du VIH dans les années 80 a poussé à des comportements plus prudents. Mais depuis les années 2000, avec les traitements efficaces contre le VIH, les comportements à risque reviennent. Les IST, dont le chlamydia, sont de nouveau en forte hausse.
Idées reçues VS Réalité : le vrai du faux sur les infections vaginales
Le Professeur Judlin démonte avec précision les croyances tenaces qui entourent notre intimité.
- Les maillots mouillés, piscines ou toilettes publiques donnent des mycoses.
→ Faux. Une flore vaginale équilibrée protège efficacement. Ces éléments extérieurs ne provoquent pas d’infections chez une femme en bonne santé intime. - Porter des strings ou du synthétique fragilise la flore.
→ Faux. Les textiles ou les coupes de lingerie n’ont aucun impact. - L’épilation intégrale favorise les infections.
→ Faux. Les poils ne sont pas indispensables à la protection intime. Celle-ci dépend de la qualité du microbiote vaginal. - Le yaourt dans le vagin, c’est naturel donc efficace.
→ Faux. Les souches présentes dans l’alimentation ne sont pas adaptées au vagin, et leur concentration est insuffisante. - Les probiotiques oraux suffisent à rétablir la flore.
→ Faux. Leur action est trop indirecte. À ce jour, seuls les traitements locaux (prébiotiques) sont utiles en prévention de récidives. - Le stress ou la fatigue provoquent des mycoses.
→ Faux pour les mycoses, mais vrai pour les vaginoses : le stress perturbe l’immunité locale et favorise les déséquilibres. - La canneberge est efficace contre les infections urinaires.
→ Vrai ! La canneberge a démontré son efficacité pour prévenir certaines cystites, mais elle n’a aucun effet sur la flore vaginale. - Les infections intimes s’attrapent, ce sont des contaminations.
→ Faux. Dans 90 % des cas, il s’agit de déséquilibres internes du microbiote vaginal, non de transmissions ou de germes extérieurs.
Interview initialement publiée dans le Femmes Magazine numéro 267 de juin 2025.