Tout doit être durable, surtout la production d’électricité, qu’on ne peut toujours pas stocker. Un enjeu stratégique majeur, désormais au cœur des rapports de force mondiaux. Entre ambitions climatiques, dépendances géopolitiques et course technologique, l’énergie s’impose comme la nouvelle arme d’influence. Tandis que l’Europe cherche son équilibre entre transition verte et sécurité d’approvisionnement, les États-Unis, la Chine et la Russie redessinent la carte du pouvoir énergétique.
Par Cadfael
Les fondamentaux
Le rapport 2025 d’Enerdata, société indépendante spécialisée dans l’analyse des enjeux énergétiques, observe que « la consommation d’énergie et les émissions de CO₂ augmentent dans les pays émergents, tout en restant relativement stables dans les économies développées. /…/ La récente baisse des émissions au sein de l’Union européenne s’explique en grande partie par une croissance économique et démographique modérée. Cette tendance se traduit par un recul marqué de l’activité industrielle européenne, particulièrement depuis 2022. Dans le même temps, les énergies renouvelables poursuivent leur progression. »
Selon Enerdata, « en juin 2025, la production mensuelle d’électricité solaire dans l’UE a atteint son niveau le plus élevé jamais enregistré. » À l’inverse, l’Italie fait face à des pannes à répétition dans ses grandes villes, conséquence d’infrastructures vieillissantes. L’Espagne, de son côté, alerte sur une vulnérabilité croissante de la péninsule Ibérique, liée à une faible interconnexion et à des réseaux techniques encore mal adaptés au mélange entre énergies solaires et sources traditionnelles.
L’électricité dite « verte » n’est pas exempte de contraintes. Selon Allemagne Énergies (août 2025), la production issue des énergies renouvelables a chuté de plus de 5 % par rapport à la même période de l’année précédente, en raison de conditions météorologiques défavorables. Pour compenser cette baisse de production éolienne et hydraulique, le recours accru aux centrales thermiques à flamme a paradoxalement provoqué une hausse de la consommation énergétique.
En France, 15 % de la consommation brute proviendraient désormais d’énergies renouvelables. D’autres pays, en revanche, restent fortement dépendants des importations : c’est le cas de Malte (97,6 %), Chypre (92,2 %) et du Luxembourg (90,6 %). Jusqu’à récemment, l’Europe compensait cette dépendance par le gaz russe, dont les revenus alimentaient en partie la guerre menée par Moscou en Ukraine. Sous la pression exercée par Donald Trump, l’Union européenne a été contrainte de mettre fin à ses contrats de fourniture de gaz russe d’ici 2027. Les sanctions imposées par Washington prévoient en effet que toute entreprise continuant d’acheter du gaz à la Russie perde l’accès à la sphère financière du dollar.
Sous perfusion américaine
Mais charité bien ordonnée commence par soi-même. Selon Enerdata, « la Commission européenne et les États-Unis ont conclu un accord commercial et tarifaire majeur. Cet accord engage l’Union européenne à acheter du gaz naturel liquéfié (GNL), du pétrole et des produits issus de l’énergie nucléaire américains, pour une valeur estimée à 750 milliards de dollars (environ 700 milliards d’euros) sur les trois prochaines années, soit 250 milliards de dollars par an. »
Eurostat rappelle qu’en 2024, l’UE avait importé pour 77 milliards d’euros (83 milliards de dollars) de produits énergétiques en provenance des États-Unis, contre 86 milliards d’euros (93 milliards de dollars) en 2023. L’accord prévoit donc un triplement des importations européennes d’énergie américaine sur la période 2026-2028.
Pour la plus grande gloire de Washington
Aux États-Unis, une véritable course à l’échalote est engagée : le nouveau Graal s’appelle intelligence artificielle et puces quantiques. Washington les considère comme des éléments clés de sa suprématie stratégique mondiale. Ces dernières semaines, plusieurs médias américains se sont alarmés de la consommation colossale en énergie et en eau des centres de calcul, ainsi que de leur impact sur l’environnement.
Pour répondre à ces besoins, certaines centrales nucléaires à l’arrêt sont remises en service. Il faut ensuite bâtir des réseaux décentralisés, taillés sur mesure pour Amazon, Google, Oracle et consorts. L’administration Trump s’emploie à démanteler autant que possible les réglementations existantes, afin de ramener à 60 jours le délai maximal pour obtenir une autorisation, un processus qui, jusque-là, pouvait s’étendre sur plusieurs années. Tant pis pour les conséquences humaines et environnementales.
Selon McKinsey, les centres de calcul devraient consommer, d’ici trois ans, entre 6,7 % et 12 % de la production électrique américaine, contre 4 % aujourd’hui. En août, le New Hampshire a adopté une loi permettant de produire de l’énergie sans autorisation, à condition de ne pas être connecté au réseau public. D’autres États s’engagent déjà dans cette voie. Résultat : les géants de l’IA s’approprient désormais leurs propres centrales nucléaires.
Des réacteurs jusque-là inactifs sont réactivés. Microsoft a signé un contrat de vingt ans pour l’achat d’électricité produite sur le site de Three Mile Island, théâtre du pire accident nucléaire de l’histoire américaine. Google, de son côté, investit dans les mini-réacteurs nucléaires. En Chine, la capacité nucléaire a bondi de 80 % en trois ans. L’Union européenne a, elle aussi, reconsacré l’énergie atomique en la qualifiant officiellement de « propre ». Selon Goldman Sachs, le monde comptera quelque 500 réacteurs en service d’ici 2030, soit plus de soixante unités supplémentaires.
Quant à la Russie, elle est devenue le premier exportateur mondial de technologie nucléaire, avec dix-neuf projets en cours.




